En sortant de La Passion de Dodin Bouffant, on est pris d’un étrange sentiment (en plus d’une sacrée fringale) : impossible de statuer exactement sur la nature de ce que l’on vient de voir. Nanar ? Film en costumes expérimental ? Premier né d’une rencontre entre le food porn et le cinéma d’auteur ? La vérité se trouve probablement entre les trois. En tout cas, sincèrement, on n’a jamais vu ça : Trần Anh Hùng signe un film parfois franchement ridicule (les scènes réunissant le petit conclave de gourmets s’agglutinant autour de la figure de Dodin, qualifié de « Napoléon de la gastronomie ») entrelardé de scènes de préparation de mets luxueux s’étirant sur une durée si copieuse que La Passion… ressemble souvent à un film d’action muet, mais rythmé par le bruit des couteaux, des marmites qui bouillonnent, du frémissement des sauces, etc.
Comment filmer la cuisine ? La mise en scène apporte une réponse simple, qu’elle pousse toutefois à un degré assez délirant. Puisque cuisiner consiste avant tout à associer entre eux différents ingrédients, Trần Anh Hùng mitonne par le montage et s’autorise même, à l’occasion d’un improbable raccord entre une poire étendue dans une assiette et le corps nu de Juliette Binoche alangui sur son lit, un télescopage des grandes passions de l’épicurien Dodin. Magimel se balade entre sa cuisine et ses convives avec bonhommie, débitant des tirades improbables : en dépit d’un élément dramatique de taille, le film ressemble avant tout à une succession de bons mots, de bonne chère et de bonne chair. On a beau se demander ce qu’il fait en compétition du plus prestigieux des festivals internationaux, au fond qu’importe : cet improbable ragoût est déjà l’OVNI de l’édition.