La mère du jeune Stefan est la porte-parole du régime autoritaire de Slobodan Milosevic, confronté en 1996 à de grandes manifestations suite au trucage présumé des élections. Par quelques détails disséminés au début du film, Vladimir Perišić montre la Yougoslavie comme une société déjà américanisée et désireuse de se convertir à la démocratie libérale, face à laquelle le pouvoir socialiste semble obsolescent. On songe notamment au dialogue assez drôle où la mère (dont le prénom, Marklena, est pourtant la contraction de « Marx » et « Lénine ») évoque son intérêt pour Madonna. Avec son appartement rempli de meubles design, elle symbolise à elle seule l’élite bureaucratique des régimes post-soviétiques, acquise sans s’en rendre compte aux modes de vie occidentaux et vidée de sa substance idéologique.
La relation naissante entre Stefan et une camarade de classe dessine une échappatoire au piège œdipien – et plus loin au régime politique qu’elle incarne. En témoigne la scène où les amoureux se rapprochent physiquement pour la première fois : un gros plan rejoue les séquences où la mère s’empare de la main de Stefan, mais cette fois, c’est la sienne qui se pose sur celle de la jeune fille pour la réconforter. À mesure qu’une double pression s’exerce sur lui – du côté de Marklena qui cherche à le maintenir sous son emprise, et de ses camarades qui le conspuent en raison de cette mère embarrassante – cette logique se renverse toutefois : ce sont désormais la mère et le fils qui échangent de nombreux regards, tandis que Stefan et son amoureuse se perdent littéralement de vue suite à une série dramatique de malentendus. Par la précision de ce jeu d’inversions, Lost Country filme l’adolescence comme une série de revirements douloureux, et s’offre comme épitaphe aux victimes collatérales du progrès historique.