François Ozon n’est décidément jamais où on l’attend. Après quelques voyages plus ou moins ridicules au pays de la comédie de mœurs (Le Refuge) et du fantastique (Ricky), il revient à ses anciennes amours : les années Giscard. Reprenant les teintes passées et les artifices orangés de Gouttes d’eau sur pierre brûlante, le cinéaste s’éloigne de Fassbinder pour faire sien le registre de la comédie de boulevard. Robert Pujol a tout du patron du Second Empire, le libéralisme en plus ; sa femme Suzanne vit recluse dans une propriété dont elle n’administre que l’alimentation. « La femme est un vase » disait avec la misogynie qu’on lui connaît Napoléon III : cette potiche-là encaisse les coups, jusqu’au jour où son odieux époux est alité. Dès lors, Suzanne commence son ascension fulgurante dans le monde professionnel, puis sur la scène politique. Sujet rare dans le cinéma français, la prise du pouvoir par une femme est ici motivée par une pure volonté de pastiche social, avec toutes les limites que l’utilisation du kitsch à outrance implique. Allure rare dans le cinéma français : Ozon se montre cruel envers tout le monde. L’accent est ainsi d’abord mis sur les décors ringards d’un village du Nord en 1977, Sainte-Gudule, et ses autochtones. Tout y est : la permanente d’une Judith Godrèche déguisée en Farah Fawcett, les robes aux couleurs discutables, le patron méprisant qui peste sans cesse contre les revendications syndicales… et la potiche, Suzanne, fanatique du jogging pépère et de la poésie de carrefour. Catherine Deneuve est cette passionaria à deux sous, indiscutable reine du film, aussi à l’aise dans le rôle de la bourgeoise provinciale inconsciente, que dans celui de la femme libérée.
François Ozon ne s’est pas contenté d’adapter la pièce de Pierre Barillet et Jean-Pierre Gredy, initialement interprétée par Jacqueline Maillan : il a considérablement modernisé le propos, tout en conservant les marques matérielles des années 1970. Le défaut principal de ce genre de film est sa tendance au catalogue en guise de mise en scène. Moult références peuplent Potiche : Michèle Torr a remplacé le compositeur fétiche de Jacques Demy, mais il est évident que l’usine de parapluies que dirigent successivement Suzanne et Robert fait écho au passé cherbourgeois de l’actrice. Y passeront aussi les citations thématiques (le féminisme, le conservatisme, l’homosexualité, la démagogie) et politiques (Sarkozy au premier rang). Mais François Ozon s’est visiblement beaucoup amusé à mêler reconstitution et mise en abyme contemporaine, et parvient à dépasser le simple maelström culturel grâce à une écriture fort soignée : la plupart des dialogues, hilarants, et la bonne idée -totalement inventée- du parallèle conclusif entre l’émancipation de Suzanne et les campagnes électorales de Ségolène Royal, sort systématiquement le film de l’effet musée de cire. François Ozon ne recherche ni la profondeur ni la problématisation des sujets de société qu’il effleure et qu’il a le mérite de toucher du doigt. Il fait dans la légèreté, le burlesque affirmé, montrant un vrai talent, caché ces dernières années, de faiseur. Le public vénitien, qui n’a peut-être pas saisi certaines plaisanteries franco-françaises, ne s’y est pourtant pas trompé. Nous n’avons pas boudé notre plaisir non plus.