La Mostra s’éteint doucement, le dernier plan du dernier film vu à cette Mostra a étrangement répondu à cet état de fait. La lueur d’un feu éclaire le visage du personnage, ses paupières tombent, son regard faiblit lentement, tout comme le tapis de braise. Le fondu au noir finit par émerger de lui-même. La caméra tourne encore dans l’obscurité devenue totale, elle veille encore, un peu.
Two Years at Sea suit un ermite, cheveux et barbe hirsute, affairé dans le complet isolement où il vit : un bric-à-brac mais aussi un royaume – caravane, cabane, maison, et surtout : l’immensité vierge environnante. Le souverain est débonnaire, il s’active par des actes et des gestes qui ont pour fonction de faire et refaire ce cosmos, sorte de formulation d’une hypothèse poétique.
On pourrait caractériser Two Years at Sea comme un songe documentaire – certains éléments, notamment des raccords, appelant d’ailleurs à relativiser le terme. Peu importe d’ailleurs, car il est un autre roi ici : l’imaginaire. Ben Rivers organise notamment une incertitude géographique qu’amorce le plan d’ouverture. La caméra se met dans les pas de ce Robinson qui avance dans la neige ; nous voici transportés dans les grands espaces nord-américains. Un timbre furtivement aperçu, le volant d’une auto se trouvant à droite, les landes austères nous mettront sur une autre voie, britannique. Imaginaire des lieux et du réel, dans toute sa singularité, Two Years at Sea renvoie à Slow Action, précédent film de Ben Rivers qui inventait d’étranges civilisations perdues. Autre imaginaire, celui de d’une vie « avant » scandée par quelques photographies intercalées au fil du récit.
Ben Rivers ne taille pas dans le temps, il l’épouse. L’étirement des plans marque cette volonté de coïncider avec la matérialité de l’écoulement temporel. Il filme en pellicule (et en noir et blanc), celle-ci est autant sensible que rugueuse : des rayures, du grain, des incandescences. Difficile d’imaginer plus beau dialogue entre ce matériau fragile et notre présence au monde.