Avant
La surprise n’en était plus une, ça a fuité dans tous les sens depuis la veille. On savait, mais, à vrai dire, nous n’étions pas beaucoup plus avancés – un film au compteur de Cai Shangjun, jamais distribué en France. Et pour l’être, avancé et non pas distribué, il a fallu courir après ce film surprise depuis hier. 1) Première projection matinale annulée pour des raisons techniques liées aux sous-titres – pas très malin de faire les essais dix minutes avant la projection. 2) Nous n’y étions pas, mais, vers la moitié du film, l’odeur âcre émanant d’une enceinte incandescente a vidé une bonne partie de la Sala Darsena lors de la présentation de People Mountain People Sea en soirée. 3) Dernière chance ce matin en Pala Biennale ; les innombrables rangées de cette immense salle n’ont jamais été aussi dépeuplées que pour cette séance. La méfiance se serait-elle installée vis-à-vis du film surprise ? Ou carrément la frousse d’une véritable malédiction pesant sur lui. Braves et vaillants, sourds aux superstitions, nous étions postés dans les premiers rangs, prêts à affronter les pires catastrophes, jusqu’à enfouissement de la lagune.
Après
Juste pour la forme, un tout petit incident technique de rien du tout à noter : une interruption de séance sur les coups de 9h15, rien que la routine festivalière pour le Pala Biennale. Pour le reste, on se situe bien loin de la claque reçue lors du film surprise de l’an dernier : The Ditch de Wang Bing. Cependant, People Mountain People Sea n’a pas à souffrir de la comparaison avec le niveau d’ensemble d’une sélection en demi-teinte – avec même de sacrés ratés, dont nous avons rendu compte. Cai Shangjun propose un cinéma patient et cohérent, basé sur la construction de plans souvent fixes (même s’il sait s’en affranchir), jouant sur les entrées et sorties de champ (l’assassinat qui ouvre le film) ainsi que l’usage de la profondeur, en organisant et reliant parfois les différentes strates de l’image.
People Mountain People Sea déroule un récit âpre et prenant qui débute donc par un meurtre dans une carrière dont la blancheur minérale semble une invitation à l’irruption d’une tâche rouge sang – les éventuelles motivations resteront tout à fait mystérieuses. Lao Tie se lance sur la piste du meurtrier de son frère, il lui faut pour cela descendre de la montagne pour rejoindre une métropole monstrueuse et errer dans des bas-fonds peu ragoûtants. Une banale histoire de revanche ? Pas vraiment. Le film prend d’étranges détours et dilue cette quête dans une sorte de dérive du personnage principal. Ceci jusqu’à une plongée pleine de noirceur dans une mine où règne une effarante violence. La quête s’opacifiant, cette dernière partie de People Mountain People Sea fait émerger une singulière tension.
On ne ressort pas de People Mountain People Sea avec l’impression d’avoir fait la connaissance d’un nouveau cinéaste essentiel (chinois ou non), pas plus que la rencontre d’un regard extrêmement singulier sur la Chine – ce qu’avait pu constituer la découverte d’un film comme Winter Vacation de Li Hongqi. On se situe clairement en présence d’une œuvre « constat » de très bonne tenue sur la Chine contemporaine, avec son lot de misère, de corruption et de solitude.