En cas de besoin, on pourra renommer la Sala Grande, en version française, la salle d’accouchement. Aujourd’hui Thy Womb de Brillante Mendoza, hier, Araf. Nous suivions avec un certain intérêt ce film de Yeşim Ustaoğlu (présenté à Orizzonti) jusqu’à ce qu’il nous propose une scène d’expulsion de fœtus – un auto-avortement tout à fait barbare, c’est-à-dire sans tout l’attirail de la fameuse scène de Prometheus. La grand-mère suit sa petite fille tombée enceinte en raison d’une relation sexuelle non protégée avec un chauffeur routier ténébreux ; cette dernière l’éconduit en lui interdisant l’accès au cabinet de toilettes où elle va soulager son atroce mal de ventre. La caméra, quant à elle, est invitée, et nous avec. On serait bien resté avec la grand-mère de l’autre côté de la porte afin d’échapper à un régime de représentation d’une maladresse confinant au sordide : les écoulements abondants de sang, le « splash ! » lors de la chute du fœtus, et, comme on dit ici, tutti quanti. Une petite demi-heure plus tard, Araf se termine par un mariage filmé par une équipe de télévision attirée par la singularité d’une cérémonie se déroulant en prison. On peut y voir la trajectoire du film prenant place dans une Turquie cafardeuse : partir sur des bases plutôt prometteuses dans la lignée de son précédent film (La Boîte de Pandore), et finir dans l’indigence sensationnaliste.
Thy Womb de Brillante Mendoza ne démarre pas par un auto-avortement, mais un accouchement, en très gros plan (et sur un très grand écran, décuplant ainsi l’effet). On voit l’origine du monde se déformer très sérieusement pour permettre le passage de la tête du nouveau-né – on croit véritablement qu’on va se le prendre entre les deux yeux –, puis le reste suit, tout va bien, bébé se porte bien. Après cette affaire rondement menée et visiblement réalisée sans trucage, en un raccord – le cinéma, c’est magique – la petite chose frêle a l’aspect d’un joli poupon de six mois. Ce n’est pas une grande nouvelle, Mendoza ne brille pas par la finesse de ses modes de représentation ; il commence ici vraiment franco, par du frontal. Il y aura quelques retours de bâton, mais moindres, et, pour le coup, Yeşim Ustaoğlu lui dame le pion sans coup férir. Mais d’une manière générale, le cinéaste ne se départira jamais d’une maladresse dans ce film sur la maternité contrariée de deux époux d’un âge avancé, convoquant les forces matricielles féminines et la puissance du lien : l’héroïne stérile est une accoucheuse et collectionneuse de bouts de cordons ombilicaux, elle tresse aussi des paillasses et pêche avec son mari, avec des filets (dont on connaît la propension à s’emmêler). Brillante Mendoza adopte un dispositif que l’on pourrait qualifier de para-documentaire, filmant cette fiction dans le bain de la réalité avec un œil à la dimension anthropologique – les personnages vivent dans un petit village pittoresque au bord des flots, dans des huttes sur pilotis, et doivent composer avec les règles d’une religion musulmane dotée d’une dimension syncrétique.
Cette mise en tension de la fiction et du réel n’aboutit à rien ou presque, des afféteries visuelles ou le montage viennent presque irrémédiablement rompre les amorces – véritables – d’élan du film. Mendoza coupe toujours au mauvais moment, on pense notamment au choix d’un montage alterné lors de la scène du mariage. Le film oscille entre une sorte de stase quotidienne de ce couple et l’irruption aussi brève que brutale de la violence (suggestion des conflits religieux entre islam et christianisme, groupes armés et présence militaire). Avec Thy Womb, on peut difficilement soupçonner Brillante Mendoza de ne pas s’intéresser à ses personnages et d’avoir des idées, mais pour ce qui est de nous convaincre et nous y intéresser, c’est une toute autre histoire. Les grilles de festival sont parfois très cruelles, nous avons ensuite découvert le formidable dernier film de Wang Bing, Three Sisters (Orizzonti, on ne va tout de même pas mettre Wang Bing en officielle, faut pas pousser…). On espère avoir le temps d’en rendre compte, c’est tout simplement l’un des meilleurs films vus durant cette étrange Mostra.