Dans un futur proche, la haute bourgeoisie de Mexico s’est installée dans un quartier très spécial, protégé des pauvres par un mur, des barbelés et une milice. Le jour où trois adolescents pauvres déjouent les systèmes de sécurité pour s’introduire dans l’enceinte, une terrifiante chasse à l’homme est alors organisée par les habitants eux-mêmes. Sans aucune illusion mais avec un véritable savoir-faire, le réalisateur uruguayen Rodrigo Plá propose une allégorie saisissante sur le repli sécuritaire et la haine du pauvre.
On souhaiterait qu’une telle histoire ne puisse jamais se produire, mais ce futur proche que nous décrit impitoyablement le réalisateur Rodrigo Plá n’est pourtant pas si éloigné de nous. Pour dénoncer ce repli sécuritaire et cette haine aussi viscérale qu’animale de la pauvreté tant de fois mis en scène par les États-Unis, le réalisateur a eu la belle idée de choisir pour cadre Mexico. Mégalopole surpeuplée qui continue d’attirer tous les désœuvrés des campagnes environnantes, la capitale du Mexique est une terre de tous les contrastes, témoin presque caricatural d’une très mauvaise répartition des bienfaits de la croissance dans ces pays qu’on dit « émergents ».
Ici, la haute bourgeoisie de la ville a donc choisi de vivre dans un monde à part. Sur une des collines de la ville, elle a fait construire un quartier aussi luxueux qu’aseptisé, volontairement coupé des réalités du quotidien. Tout au plus, se dessinent en arrière-plan quelques quartiers de la ville, pauvres et dressés à la va-vite, que même les habitants de ce « Melrose Place » ont appris à ne plus voir. Bénéficiant même d’un statut particulier au niveau de la loi, la communauté possède sa propre milice et, dans chaque foyer, il y a suffisamment d’armes à feu pour tenir à distance tout étranger potentiellement malintentionné.
Trois jeunes mexicains en font d’ailleurs rapidement les frais. Une nuit d’orage, un énorme panneau publicitaire s’écroule sur le mur de l’enceinte (écho troublant au mur séparant la frontière américano-mexicaine), coupant l’électricité et par la même occasion le système de sécurité. Les jeunes garçons profitent de cet instant de vulnérabilité pour pénétrer dans l’enceinte et tenter de dérober quelques biens qu’ils pourront revendre. Mais dès leur première effraction, les choses tournent mal : traqués, deux d’entre eux sont abattus. Le troisième et plus jeune (Miguel, 16 ans) parvient à échapper aux habitants pour se cacher dans le sous-sol d’une maison, effrayé à l’idée d’être rattrapé et de connaître le même sort que ses deux complices.
Face au délire collectif que nourrissent ces habitants régulièrement réunis en assemblée pour voter la mise à mort de ce dernier intrus, on espère naturellement que la « vraie » police interviendra pour rendre justice à l’adolescent dont le véritable tort est finalement d’être pauvre. Mais le réalisateur a le courage et l’intelligence d’éviter tout manichéisme dans son discours politique. L’individualisme s’impose à ce point comme une valeur prédominante qu’elle anéantit toute bonne conscience. Si dans cette communauté, quelques âmes tentent de dénoncer une attitude aussi barbare que primaire, plus rien ne semble pouvoir arrêter cette mécanique aussi meurtrière que corruptrice. Filmé comme un thriller, La Zona, propriété privée bénéficie d’un montage rapide, ne laissant que très peu de moments de respiration. Ces habitants, obsédés par l’idée de perdre leur statut et d’être vulnérable à la pauvreté, font ici le choix de ne plus réfléchir, laissant la tension croître jusqu’à la démesure.
Sans aucun ménagement, c’est ici toute la bêtise humaine qui est ici dénoncée. Maintenant en hors champ ces actes de barbaries venus d’un autre temps, le réalisateur a la finesse de ne jamais tomber dans une sorte de complaisance malsaine. À l’instar de Fritz Lang dans l’excellent Furie, Rodrigo Plá embarque son spectateur dans cette montée d’adrénaline où l’obsession de la vengeance et de la justice par soi-même ébranle tout un système de valeurs. Et à considérer l’épilogue particulièrement ambigu, force est de constater que le réalisateur a choisi de ne pas faire preuve preuve d’un optimisme débordant…