La Femme d’à côté n’en finit pas de faire des petits, et ils ont tous la tête d’Yvan Attal : après Partir il y a quelques semaines, où il incarnait le mari cocu, le revoilà dans Les Regrets, qui marque le retour derrière la caméra de Cédric Kahn après quatre ans d’injuste purgatoire. Dur dur de se remettre d’une catastrophe critique et financière telle que L’Avion, son kid movie tourné en 2005. Le retour aux affaires du brillant cinéaste, heureusement plus connu pour ses précédents longs métrages, se fait ainsi par le biais d’un drame passionnel a priori taillé pour lui. Chez Cédric Kahn, la folie n’est jamais bien loin, qu’elle soit sexuelle (L’Ennui, adapté de Moravia), meurtrière (Roberto Succo) ou paranoïaque (Feux rouges, adapté de Simenon). Il n’est donc guère étonnant de le retrouver aux commandes de ce récit d’une descente aux enfers programmée, au beau titre doucement ironique, en mode mineur : Les Regrets.
La province, l’autoroute, les couloirs d’un hôpital, un homme défait, barbe grise de trois jours et look décontracté de celui qui a réussi et qui fait semblant de s’en foutre : Yvan Attal est l’homme de la situation, le corps parfait pour incarner l’anti-héros rêvé par Cédric Kahn de film en film. Le drame qui se joue dans les premières minutes est celui, banalement tragique, d’un fils à qui l’on apprend que sa mère va bientôt mourir. Il ne faut pas longtemps à Cédric Kahn pour rectifier le tir : la tempête qui engloutira Mathieu, son architecte bobo endeuillé, n’est pas la douleur de la perte, mais celle des retrouvailles avec Maya (Valeria Bruni-Tedeschi, évidemment parfaite pour le rôle), son amour de jeunesse. La jeune femme est mariée à un crétin alcoolique (Philippe Katerine) qui rêve de fabriquer du vin et vit au fin fond d’une campagne mi-sinistre (pour les décors environnants), mi-chic tendance magazine de déco (pour la maison). Bref, elle s’ennuie à mourir. Lorsque les deux anciens amants se retrouvent par hasard au détour d’une rue, ils feignent les politesses de circonstance d’anciens camarades perdus de vue. Cela ne durera pas longtemps : le désir prend le dessus en un rien de temps, et la passion revient comme si elle n’avait jamais disparue. Mathieu, pourtant heureusement marié avec une ravissante jeune femme avec laquelle il co-gère son cabinet, perd complètement la boule et n’a plus qu’une obsession : refaire sa vie avec celle qu’il a pourtant quittée, quinze ans auparavant.
Dans le cinéma français, le drame passionnel est presque un genre en soi depuis que François Truffaut en a fait le thème de l’un de ses films les plus populaires et les plus admirés. Mais ici, la femme désirée n’habite hélas vraiment pas à côté, ce qui oblige Mathieu/Yvan à tapoter frénétiquement sur les touches de son portable pour envoyer des SMS à Maya : leurs rendez-vous manqués, leurs agendas incompatibles, l’éloignement devraient calmer les amants mais semblent, au contraire, attiser un peu plus encore leur amour. Le problème, c’est que le scénario mise beaucoup sur cette mise en situation de l’attente qui, hélas, ne donne pas grand chose, une fois portée à l’écran. Surtout, en séparant radicalement les deux corps et en racontant cette histoire presque exclusivement du point de vue de Mathieu, Cédric Kahn peine à rendre palpable cette fièvre qui frappe ses deux héros. Le cinéaste nous envoie constamment des messages contradictoires : sur le papier, cet homme et cette femme sont fous l’un de l’autre mais leur passion est trop forte pour être vécue au quotidien ; à l’écran, ils aiment effectivement beaucoup arracher leurs vêtements et faire sauvagement l’amour, mais ils le font avec un tel sérieux qu’on se demande s’ils ne sont pas sur le point de remplir leur déclaration d’impôts. Et lorsque Cédric Kahn les filme enfin souriants, détendus et heureux, dans un bain ou au volant d’une voiture, tout sonne faux : on se dit alors qu’il y a un problème.
Les deux acteurs ne sont pas en cause : ils font exactement ce que l’on attend d’eux, mais le font si bien qu’on peut difficilement leur en vouloir (et pour la peine, on donnerait bien un César à Yvan Attal, l’autre comédien vedette sous-estimé de sa génération, avec Vincent Lindon). On pourrait plutôt reprocher à Cédric Kahn sa frilosité face à une histoire qui aurait demandé un peu plus de chair et un peu moins de théorie, un peu moins de rigueur et un peu plus de bordel. Dans Les Regrets, il n’est question que de passion mais l’on n’en voit que le triste envers du décor : la jalousie, l’insoutenable frustration, le « jamais avec toi, jamais sans toi » si caractéristique des caprices sentimentaux des personnages romanesques. Sans doute était-ce là le désir de Cédric Kahn : ne montrer de cette histoire banale et pourtant un peu folle que l’aspect le plus dérisoire. La fin montre bien que ces deux amants sont d’incorrigibles pantins, prisonniers de leurs illusions et de leurs pulsions. On n’est pas obligé de les suivre dans leur pathétique manège.