Dans la presse, son de cloche plutôt mitigé à la sortie de Captives : acteurs cabotins (c’est vrai pour certains, assez sévère pour d’autres), mise en scène hiératique (on rétorque : raide, acéré), on passe tout de suite à Nuri Bilge Ceylan, vraiment ? Le film d’Atom Egoyan, certes pas l’auteur le plus attendu du festival, est un petit polar très sec et plutôt frappant, thriller glacé et anxieux où les cris s’étouffent dans le froid, donnant de quoi penser à certains coups récents de Soderbergh dans le genre (l’excellent Haywire et le moins réussi Side Effects) : cadrages inflexibles, coupes congelées, sévérité chic de la mise en scène. Ici, on se déplace sur une période de dix ans explorée par une chronologie plutôt libre (et même un peu confuse, admettons-le), à partir de l’enlèvement d’une gamine. Son ravisseur est un habile manipulateur, moins excité par le sexe que par l’émotion (la perversion purement pédophile reste soigneusement hors-champ) : il épie la mère pour jouir de sa détresse, remet discrètement de l’huile sur le feu, savoure fiévreusement les souvenirs d’enfance de sa captive, etc. L’enquête avance aux rythmes irréguliers de la traque solitaire du père (Ryan Reynolds, impeccable), du professionnalisme implacable de l’inspectrice (Rosario Dawson, très rentrée et ténue également), ou des instincts de prédateur de son adjoint et compagnon (Scott Speedman).
Syndrome de Stockholm n° 1 : celui d’une adolescente qui a pris goût aux petits stratagèmes de son ravisseur et a du mal à se séparer de lui. Syndrome de Stockholm n° 2 : celui d’un genre thriller post-Millénium qui ne peut plus filmer les criminels qu’en doudounes sur étendues neigeuses, fusils hi-tech et taches de sang jetées sur le manteau blanc. C’est quand même le premier qui nous intéresse le plus, parce qu’il se contagie à la structure même du polar. Egoyan étend les paradoxes de la captivité (tu me possèdes, je t’aime) à des formes plus perverses de séquestration : celle du couple, celle de la culpabilité, celle de la famille. Et si Captives est si éprouvant, c’est peut-être parce que le contrecoup de la captivité n’est jamais la libération, mais le délaissement. Celui qui n’est pas détenu est répudié ; et tour à tour les personnages s’emprisonnent ou s’abandonnent, s’arrachent ou se retiennent. Se retrouver « ensemble » n’est jamais possible que par un principe de vase communiquant : une retrouvaille se paye au prix d’un déchirement, une greffe à celui d’une mutilation. Alors, certes Captives n’est pas Akerman (ç’aurait été étonnant), néanmoins il ajoute une petite pierre froide et dure au grand édifice du cinéma claustrophobe.