Reparti bredouille de la dernière Berlinale, Effets secondaires n’a pas dupé le jury présidé par Wong Kar-Wai. Depuis quelques années, le cinéma de Soderbergh pâtit de son éclectisme touristique qui ne berne que les défenseurs de la politique des auteurs. Car si le projet sur le papier est alléchant, le résultat à l’écran reste l’œuvre mineure d’un petit malin surestimé.
Le cinéma de Soderbergh est un cinéma de la séduction : surprendre à chaque film (la séduction, c’est bien sortir du (droit) chemin) en explorant un genre nouveau sans jamais parvenir à le transcender, appâter le chaland avec un casting trois étoiles, et emballer le tout d’une mise en scène froide et distanciée que certains qualifieront d’élégante. Le réalisateur-caméléon est d’abord mû par cette volonté de dérouter, peu soucieux de nourrir un véritable point de vue sur son sujet, jouissant d’une aura d’auteur-explorateur qui semble avoir valeur d’ordonnance. Après, entre autres, la fresque historique (Che), le film d’action (Piégée) ou le film catastrophe (Contagion), Effets secondaires se présente comme un thriller pharmacologique.
Emily Taylor, 28 ans, retrouve son mari, ex-golden boy sortant de prison pour délit d’initié. Pas facile de retrouver une vie conjugale après ces quatre ans d’absence. Emily présente très vite des symptômes dépressifs et suicidaires qui la conduisent chez un psy, Jon Banks, grand amateur de solutions chimiques. Convaincu par Victoria Siebert, l’ancienne psy de la jeune femme, Banks la met sous Ablixa, médoc dernier cri. D’autant plus que, charmé par les labos pharmaceutiques, le médecin, bonne poire ambitieuse, va se faire 50000 $ pour transformer ses patients en cobayes, qui lui permettront de financer la scolarité dans le privé de son beau-fils et son nouvel appart’ chic où les pommes d’Apple poussent à chaque plan. Malgré les effets secondaires de somnambulisme de l’Ablixa, Emily insiste pour continuer ce traitement qui lui redonne peu à peu goût à la vie et sa libido. Tout le monde y trouve son compte… jusqu’à ce qu’on la découvre couverte de sang près du cadavre de son mari, sans aucun souvenir de ce qui s’est passé. Qu’est-il arrivé ? Qui est responsable ? Banks perd le contrôle de sa réputation et de sa vie, et plonge dans la parano, prêt à tout pour se dégager de toute responsabilité.
Girlfriend Experience, Contagion, Piégée, Magic Mike… les derniers films de Soderbergh étaient travaillés par le corporel, le cinéaste faisant même appel à des corps singuliers confrontés à celui des stars : actrice porno, championne de MMA, strip-teaseur. C’est le psychologique qui l’intéresse ici : la part chimique de la psyché, la paranoïa… et la manipulation. Car le thriller médical vire au film noir, injectant dans le processus narratif même du film ce penchant séducteur pour la déviation. Le récit à tiroirs, divertissant et bien ficelé par un Scott Z. Burns hyper-documenté rêvant d’un nouvel Assurance sur la mort, déroule rebondissements, retournements de situations, déplacements de points de vue et faux-semblants qui jouent autant avec les protagonistes que le spectateur, lorgnant vers Hitchcock et De Palma. Mais cet étalage ambitieux mélange (un peu trop) les ingrédients (meurtre, manipulation, chantage, climat paranoïaque, fraude boursière, figure de la femme fatale) sans parvenir à extraire de sa tambouille foutraque une recette singulière. L’enfilement studieux des séquences, chacune venant mécaniquement remettre en cause la précédente, manque de crescendos et de pauses pour revivifier l’électrocardiogramme du thriller, ici trop à plat pour que monte la tension. La musique qui tente d’agiter nos nerfs ne suffira pas à créer le suspense qui fait défaut.
Effets secondaires reste en surface du malaise qui le sous-tend. Le film dessine en filigrane le portrait d’une génération Prozac perdue dans la facilité chimique qu’offrent les gourous pharmaceutiques sans scrupules, d’une société en crise qui fait commerce de la souffrance. Il est donc aussi question, ici, de fragilité humaine, de décision morale. Mais il manque de l’humanité et de l’empathie à la sophistication distante de Soderbergh, trop occupé à peaufiner son style pour regarder ses personnages, sacrifiés sur l’autel de l’épate, figurines sans profondeur égarées dans les flous chics des longues focales. S’il parvient à tirer à l’occasion son personnage vers le trouble obsessionnel (notamment dans cette scène où il joue les Carrie Mathison dans son salon en construisant un mur de photos et documents), Jude Law reste un joli pantin insipide. Tatum est insignifiant et la froide Catherine Zeta-Jones, un brin caricaturale, manque d’ambiguïté. Seule Rooney Mara tire son épingle du jeu, grâce à un rôle plus complexe, qui s’effeuille peu à peu entre fragilité et perversion.
Finalement, le film à thèse qui dénonce les dérives mercantiles du traitement de la douleur psychologique ne dépasse pas les clichés, et le thriller s’abandonne à des facilités qu’un cinéaste dont le regard ne serait pas embué par une esbroufe malvenue, mais porté sur son sujet et ses personnages, aurait pu éviter. Annoncé comme son dernier film (avant la diffusion imminente de Behind the Candelabra, téléfilm produit par HBO), Effets secondaires laissera la saveur amère d’une manipulation à l’arrière-goût de duperie.