Parmi les adaptations de séries culte — des années 1980 – 90, en l’occurrence, 21 Jump Street fait partie de celles qui illustrent le rapport complexé que les années 2000-10 peuvent entretenir avec cette période, complexe dont elles se soulagent par la dérision forcenée des vieux codes télévisuels. Ici, l’exercice parodique est d’autant moins innocent qu’il sert visiblement de tremplin à des intérêts particuliers. Fût-ce au prix du sang.
Ajoutant pour la première fois (au cinéma) les rôles de coscénariste et de coproducteur à son CV d’acteur, Jonah Hill effectue ici la même opération que son comparse Seth Rogen avec The Green Hornet : faire de l’adaptation irrévérencieuse un tremplin vers un boost de carrière par-delà son étiquette d’origine, un pied dans la porte du pouvoir décisionnel hollywoodien — et perdre au passage un peu de surcharge pondérale. Les deux films présentent d’ailleurs au moins un autre point commun, troublant à plus d’un titre — qu’ils partagent d’ailleurs avec d’autres films auxquels Rogen a pris part, Délire express et Observe & Report. L’esprit d’irrévérence et de revanche sur la norme s’y matérialise par l’irruption d’une violence trash, mais surtout bien réaliste et parfois létale, comme s’il s’agissait à tout prix d’anéantir et de ramener plus bas que terre, avec le fracas le plus démonstratif, le vieux matériau. Dans 21 Jump Street, c’est un caméo d’acteurs de la série d’origine qui se conclut presque aussitôt dans un bain de sang (brutale façon de dire « place aux jeunes »), ou encore un méchant qu’à la fin les héros mutilent avant d’humilier sur sa blessure. Que des films a priori comiques ressentent le besoin d’un tel défoulement pour s’imposer sur ce qu’ils prétendent tourner en dérision, au mépris de la sensibilité et avec pour excuse l’éloge de l’immaturité et de l’absence de complexes, voilà un spectacle assez perturbant, voire sinistre.
Déchaînement cathartique
Le procédé laisse ici d’autant plus songeur que par ailleurs, et de façon plus prononcée que dans les films cousins susmentionnés, les artisans du film (Hill, son coscénariste et le tandem de réalisateurs venus de la télé) se montrent attachés à leurs antihéros et à leurs complexes qui sous-tendent cette adaptation décalée de la série. Hill compose avec l’idoine Channing Tatum un tandem de buddy movie en forme de confrontation potache entre la « nouvelle comédie américaine » (symbolisée par Apatow, désormais conventionnelle) et l’ « ancienne » (actuelle mais relevant de précédentes conventions) : lui le freak and geek, l’autre le beau sportif bien lisse. Lesquels sont aussi deux policiers novices réunis par leurs fantasmes un brin immatures de poursuites, d’explosions à la Die Hard et de ralentis à la John Woo (plaisirs que le film, après leur avoir ménagé plusieurs déceptions, finira par les laisser s’offrir, colombes en sus). Afin de « réactiver un programme vieux de trente ans » (clin d’œil pas fin et bien goguenard à la série), le tandem est envoyé en infiltration parmi les étudiants d’une fac pour démanteler un trafic de drogue. Aux facéties des deux zouaves s’ajoute la résurgence d’un traumatisme commun : bien avant d’être partenaires et best pals dans la police, ils se sont connus en fac où leurs archétypes les opposaient l’un à l’autre (à l’avantage du beau gosse, cet univers étant sans pitié). Or suite à une gaffe, ils seront peu à peu amenés à brouiller leurs appartenances à leurs archétypes respectifs (Hill flirte avec une étudiante, Tatum bosse les sciences physiques) et à ranimer leur rivalité d’adolescence.
Tant que le tandem — le couple, plutôt — en est encore à solder ses comptes de jeunesse et à lutter entre nécessité de grandir et tentation de régresser, le film rejoue habilement la partition désormais connue de la « bromance », centrée sur les relations de couples de potes mâles en quête de complétude (sexuelle/sentimentale). Mais dès que l’issue se montre à portée, il y pousse ses personnages dans un déchaînement cathartique dont la violence en dit un peu trop sur le refoulé de ses artisans, sur le mépris avec lequel ceux-ci évacuent les personnages faisant obstacle à l’accession des héros à la « coolitude » espérée (pouvoir agir comme des héros de Woo ou McTiernan). Cette agressivité aux accents totalitaires, prenant pour alibi la culture geek, fait in fine assez froid dans le dos, et on ose croire qu’elle ne préfigure pas l’avenir de la comédie américaine.