Au bord de l’été, Miki et sa nièce Sakuko viennent trouver asile sur le littoral japonais. Miki doit terminer la traduction d’un livre indonésien dans lequel les fantômes mangent des fleurs orange. Sakuko, elle, doit préparer son entrée à l’université ; mais très vite, elle se laisse emporter par les flâneries et les rencontres estivales. Dans son sillon, on découvre à la volée le love hotel dans lequel travaille Takashi, un jeune réfugié de Fukushima qu’Ukichi a pris sous son aile ; le café de Tatsuko, fille d’Ukichi ; et puis la plage, une rivière, des chemins traversés d’un coup de pédale. Les rencontres se font, tracent entre les lieux et les personnages les lignes d’une cartographie à la légèreté imparable, réseau de sentiments éthérés pour lequel Rohmer et Hong Sang-soo sont directement convoqués.
Douceur
Si les conversations qui parcourent le film sont nombreuses, jamais les personnages ne disent ce qu’ils pensent vraiment. Comme si ce qui ne pouvait pas être dit devait être tu, les sentiments ne sont jamais exprimés ouvertement. On reste dans un état de suspension, non pas neutre mais au contraire toujours marqué par ce trouble qui plane et qu’on n’ose pas matérialiser sous peine de le voir s’essouffler. La possibilité d’une union reste en suspend ; elle frôle les personnages, incapables de s’en emparer. Souvent, on se manque, on finit par se séparer à un croisement qui voit l’autre emprunter un chemin différent. Loin du registre de la passion, l’émotion demeure à la limite du discours, précieux résidu qu’on laisse là à qui saura le voir. On sait déjà que l’été touche à sa fin ; qu’il restera à l’état de souvenir.
Sakuko prend son temps, elle procrastine, prend plaisir aux petites choses. Elle profite surtout, comme nous, de cette lumière qui lèche la mémoire d’une manière indélébile. C’est cette légèreté qui parvient étrangement à s’imprimer, comme celle des sentiments effleurés, plutôt qu’une expérience plus vive. On est marqué de la caresse d’une douce tristesse plutôt que du fer rouge de la passion. C’est cette marque légère qui témoignera de ce qui a été. Fukada semble trouver là un moyen de nous toucher plus durablement. Comme si alors, tout ce qui n’avait pas trouvé à se dire tout au long du film, trouverait dans le souvenir un moyen d’autant plus efficace d’exister. Proust n’est pas loin. Des non-dits, émerge le fantôme d’un sentiment qui prend forme avec le temps. Ses contours ont été esquissés, mais c’est le flou de ce trait, son évanescence, qui convoquent alors l’imagination, une nouvelle perception, le désir de se retrouver dans ces discontinuités pour les percevoir chaque fois d’une manière plus détaillée, ou différente.
Fugue
La qualité principale de Fukada, c’est l’assurance dont il fait preuve quant au rythme d’Au revoir l’été, sa capacité à entretenir la tension diaphane de son récit. Sans que rien n’explose jamais, les relations entre les personnages évoluent subtilement, se décalent avec une liberté étonnante. Avec la fugue des deux adolescents Sakuko et Takashi, qui n’advient qu’assez tardivement, le film semble enfin choisir une voie, se diriger quelque part, avoir trouvé là les sujets d’une passion finale possible. Le film progresse, se rapproche d’une union. On y croit, on l’envisage, on l’imagine. Puis les choses se dénouent avec autant de douceur qu’elles étaient advenues, sans qu’on s’en rende compte. Tout se joue dans le regard que pose Takashi sur Sakuko endormie à côté de lui. Cette seconde qui témoigne de la possibilité d’un sentiment naissant est également celle qui, une fois manquée, ne reviendra plus. Douce tragédie des échanges manqués. Sans avoir rien vu venir, on se retrouve, à nouveau, devant des chemins qui se séparent. Cette image marquera sans aucun doute Sakuko pour longtemps. En attendant, l’été s’achève et la fuite en avant doit continuer.