Si Harmonium, sixième long métrage de Kôji Fukada présenté à Un Certain Regard fait suite à un film avec Irène Jacob non diffusé en France, le travail du cinéaste japonais a pourtant pu être découvert en 2014 avec la sortie d’Au revoir l’été. Ce conte de la belle saison voyait une jeune fille remettre à plus tard ses devoirs de vacances pour leur préférer une éducation sentimentale avec un jeune voisin. Ses tantes chez qui elle passait ses congés vivaient elles aussi des amourettes, mais l’apparente légèreté d’une intrigue minimaliste laissait filtrer des rapports cruels où la dissimulation et la tromperie s’invitaient souvent.
Harmonium aussi nous accueille par la chronique en entrant chez Toshie, métallurgiste qui vit heureux avec sa femme et sa fillette dans un petite maison qui lui sert également d’atelier. La cruauté qui faisait surface par certaines intrigues périphériques d’Au revoir l’été surgit cette fois au cœur du récit lorsqu’un ancien ami du père de famille se présente à la porte. Démuni après dix années passées en prison pour meurtre, il se voit offrir par son ancien camarade un toit et un emploi. À la manière dont il trouble de ses grognements l’harmonie des repas familiaux, on comprend vite que son obséquiosité cache une nature sombre. Le cadre intime pourrait pourtant être le lieu idéal pour faire surgir ce récit de violence et de culpabilité, tout comme le regard impassible de l’excellent acteur Kanji Furutachi trahit de fugaces éclairs de brutalité. Mais le rouge vif de la robe de la fillette ou la dissonance de l’air d’harmonium ne suffisent pas à incarner l’annonce du deuil de la félicité initiale.
Fukada peine à faire entrer la noirceur pessimiste et destructrice dans le portrait du bonheur familial. La grâce avec laquelle il fait exister les instants du quotidien se perd dans l’ellipse de huit années qui sépare les deux parties du film, et transforme ses personnages en caricatures doloristes. Harmonium a beau se retourner pour offrir un envers cauchemardesque à l’idyllique trinité du début, il ne parvient pas à accueillir les personnages qui font leur entrée dans sa deuxième moitié. L’étonnante valse des filiations naturelles ou électives qui se joue alors ne se hisse pas à la hauteur de la devise qu’y énonce un jeune peintre amateur et qui semble être aussi la ligne directrice du film: «Quand je dessine, c’est pour faire changer ma vision des choses.»