Sur une plage de l’île de Sumatra gît le corps endormi de Laut, un Japonais amnésique. Mutique et mystérieux, l’homme se révèle doté de pouvoirs magiques dont les effets vont fasciner la population locale… Contrairement à son résumé lorgnant vers le conte, Le Soupir des vagues dédramatise l’irruption du fantastique dans la vie rangée de quelques expatriés japonais en Indonésie. Les pouvoirs extraordinaires de Laut, capable de ramener à la vie plantes, animaux et êtres, humains, apparaissent à trois reprises via les écrans d’une caméra numérique amateur et d’une télévision. Autant de manières de signifier que le spectacle du merveilleux peut être capté par des outils normalement employés dans le champ du documentaire, comme le souligne l’ouverture où l’on voit les coulisses d’un reportage télévisé consacré au héros. À ce titre, il serait malaisé de parler de fantastique, tant Kōji Fukada s’ingénie à abolir la frontière entre réel et imaginaire pour donner naissance à une forme de réalisme magique. Sur une île où l’Islam (première religion en Indonésie) semble avoir bizarrement laissé place à une sorte d’animisme, l’apparition et le comportement insaisissable de « l’homme qui venait de la mer » (titre sous lequel le film devait initialement sortir en mars 2020) suscite moins la stupéfaction qu’une forme d’allégresse. Né de l’écume tel une Vénus masculine, Laut s’apparente en effet à un messie venu conjurer la tragédie du tsunami qui s’est abattu sur l’Asie du Sud-Est en 2004 (mais aussi le souvenir, plus récent, de Fukushima). Ce symbolisme alourdit le film qui, dans le même temps, ne parvient pas à faire grand cas de la géographie suppliciée du pays. Le sentiment d’un certain désinvestissement affleure dès que Fukada s’attarde sur les stigmates de la catastrophe, qui portent leur lot de décors surprenants. Ainsi d’une épave rouillée que la tempête a transporté en plein cœur de la ville : filmée un temps à distance, elle sert seulement d’écrin à une longue scène dialoguée où le cinéaste ne tire rien de son architecture insolite.
C’est davantage dans la mise en scène des atermoiements sentimentaux que le film convainc, lorsque les tâtonnements amoureux se trouvent redoublés par la barrière de la langue. Hasard du calendrier (le film est sorti depuis trois ans au Japon), cette dimension polyglotte (d’une scène à l’autre, on y parle japonais, indonésien et anglais) n’est pas sans évoquer le grand film japonais de cet été, Drive My Car de Ryūsuke Hamaguchi. Dans une des meilleures scènes, Kris, un jeune indonésien, avoue ses sentiments pour Sachiko (une Japonaise venue seule en voyage) en citant maladroitement la traduction personnelle que l’écrivain Soseki avait donné de « Je t’aime » (« La Lune est belle »). Le quiproquo qui s’ensuit, évoquant la manière dont Rohmer fait rimer ambivalence du langage et marivaudage, est révélateur du chemin qui reste à parcourir pour les personnages, appelés à dépasser les frontières symboliques et linguistiques de leurs cultures respectives. La mise en scène souligne d’ailleurs, parfois avec pesanteur, l’enfermement de Sachiko au cœur d’un pays qu’elle ne connaît pas – filmée dans des cadres sans profondeur de champ ou à travers des fenêtres en forme de cellules. Même si Le Soupir des vagues manifeste une réelle étrangeté dans ses dernières minutes (à l’occasion desquelles Laut devient soudainement inquiétant), le mélange des genres cesse de fonctionner quand le film abandonne ses fragments d’un discours amoureux au profit d’une allégorie de la rédemption post-Fukushima.