Documentaire en apparence assez austère, Babi Yar. Contexte, film d’archives dénué de voix-off, réduit le processus de contextualisation suggéré par son titre à de brefs cartons indicatifs. Seules quelques bribes d’informations sont livrées à propos du massacre de plus de 30 000 Juifs en 1941, dans le ravin de Babi Yar, à l’ouest de Kiev. C’est que les images suffisent pour saisir l’ampleur de la tuerie, tandis que le « contexte » désigne davantage la façon dont est structuré le film, divisé en deux longs segments (l’avant et l’après Babi Yar) séparés par une série de photographies évoquant, en silence, les trois jours du massacre. Sergei Loznitsa, documentariste assez fin mais auteur de fictions souvent empesées, se révèle ici particulièrement inspiré dans son montage, parvenant à trouver le juste équilibre entre simplicité dans la présentation des événements (le film suit un déroulement chronologique) et attention portée aux figures, aux dynamiques et aux mouvements contenus au sein des archives.
Les deux parties du film se répondent à distance, en opérant de troublants échos dans la façon dont l’armée nazie, puis l’armée soviétique, ont tour à tour occupé Kiev à l’aide des mêmes stratagèmes : affichage d’images de propagande, discours flatteurs à l’égard du peuple ukrainien condamné à subir les aller-retours d’armées étrangères, grands défilés militaires visant à asseoir l’occupation d’un territoire en ruines, etc. C’est d’ailleurs dans ces séquences de processions que se déploient les raccords et les enchaînements les plus stimulants du film. Les troupes qui avancent horizontalement, d’un côté puis de l’autre de l’écran, renvoient à la traversée de l’Ukraine par les deux armées ; de leur côté les déportés juifs, chassés de leurs foyers pour mourir au sein de leur contrée, empruntent des trajectoires plus sinueuses, zigzaguant ou dessinant des boucles. Outre ces trajets, Loznitsa figure plus généralement le cours des événements en mettant en place une dynamique de montage singulière, qui consiste à prolonger un même mouvement de caméra d’un plan à un autre, par exemple en raccordant plusieurs panoramiques analogues lorsque la population locale, sous l’occupation nazie, se retrouve contrainte de suivre à marche forcée le sens de l’Histoire. Lorsque ce dernier est plus incertain, notamment entre les deux périodes d’occupation, les mouvements de caméra empruntent à l’inverse des directions opposées. En résulte un beau film, qui fait un usage riche et convaincant – c’est assez rare pour le souligner – de ses images d’archive, en les considérant à la fois comme des traces, des témoignages historiques, mais aussi des fragments picturaux dont la forme guide le montage, et par extension notre manière de voir et d’appréhender l’un des épisodes les plus sombres du XXe siècle.