C’est à Sergei Loznitsa que revient cette année l’honneur d’ouvrir la sélection d’Un Certain Regard, après être passé par la case Compétition il y a tout juste un an pour Une femme douce. Comme son titre l’indique, Donbass se déroule dans le bassin houiller du même nom, partagé entre l’Ukraine et la Russie. En mars 2014, suite au renversement du président Viktor Ianoukovytch et à l’installation d’un nouveau régime, un conflit armé a éclaté dans le Donbass entre des rebelles russophones et les nouvelles autorités centrales de Kiev. C’est précisément sur ces événements que revient Loznitsa, explorant en filigrane leur traitement médiatique (notamment via une scène confrontant un journaliste allemand aux forces armées demeurant à la frontière). Donbass étonne d’ailleurs par sa virulence à l’égard des différents pouvoirs en place, chaque séquence se cristallisant sur les violentes tensions surgissant entre des citoyens et tels bureaucrates ou tels militaires. C’est que Loznitsa organise son nouveau film comme une suite — pour le moins répétitive — de scénettes se succédant comme un passage de relais entre différents personnages surgissant de manière inopinée dans le plan. On pourrait légitimement louer cette audace narrative — notamment pour sa capacité à dépeindre, l’air de rien, un écosystème politique d’une impressionnante ampleur — si elle ne constituait pas également la limite rédhibitoire de Donbass qui s’agence alors de manière nébuleuse autour de personnages dépeints à gros traits et dont le seul horizon que leur promet le film semble nécessairement passer par une forme assumée de soumission à la cruauté physique du système dépeint. On songe alors à la fin d’Une femme douce et cette séquence dans laquelle le personnage principal se faisait littéralement violer par l’État. Ici encore, Loznitsa ne dépasse jamais cet amer constat dont il semble profiter pour arriver à son unique objectif : accabler cyniquement les hommes et les femmes victimes de ce conflit, les renvoyant lourdement à leurs contradictions face à un pouvoir démultiplié. Ne reste alors qu’une séquence en tête de Donbass qui vaut le coup d’œil : la visite (documentaire ?) d’une cave reconfigurée en abri de fortune où loge une dizaine de familles dans le dénuement le plus absolu. Se dégage une émotion éminemment singulière, provoquée notamment par l’irruption d’une jeune femme blonde venant chercher sa mère. Son regard et sa démarche rappellent alors la force vivotante du cinéma de Loznitsa.