En 1978, alors qu’il réalise Têtes vides cherchent coffre plein, William Friedkin navigue dans les eaux les plus ténébreuses de sa filmographie. Plus précisément, le film vient après L’Exorciste et l’exceptionnel Convoi de la peur, avant La Chasse – autant dire que le ton badin, enlevé et candide de ce heist movie bon enfant tranche avec le ton de la décennie. Emmené par un Peter Falk cabotin en diable, la bande de bras cassés du braquage de la Brink’s de 1950 semble vouloir parodier le réalisme âpre de French Connection, dont le succès avait consacré son réalisateur. Après tout, pourquoi pas : on peut vouloir faire une pause et respirer un peu.
Robin de Boston
Nous voilà donc à vivre une tranche de vie d’un quartier populaire de Boston, des années 1920 aux années 1950. Dans la communauté, Tony Pino (Peter Falk) est une institution : nul coffre fort ne lui résiste – bien sûr, jusqu’au jour où il se fait prendre, caché dans le poulailler (et couvert de plumes par une troupe de gallinacées indignées – il ne manque plus que le goudron) d’une boucherie qu’il avait décidé de cambrioler. Direction : la prison. Quelques années plus tard, revoilà Tony : à sa sortie, il se cherche un gros coup. Le jour où il se rend compte que les locaux de la Brink’s Inc. sont loin d’être aussi imprenables qu’on le pense, il décide de tenter sa chance…
Tactique bazooka
La recette traditionnelle du heist consiste à confronter la sécurité insurpassable de la future victime à la perspicacité et au talent du voleur. En filigrane, il s’agit aussi de flatter la défiance naturelle de l’auditoire vis-à-vis de l’autorité – tout le monde aime voir gagner David dans son combat contre Goliath. Ledit combat, dans Têtes vides…, emprunte des chemins inédits : non seulement les locaux de la Brink’s sont on ne peut plus perméables, mais en plus la bande montée par Tony Pino est un ramassis navrant de benêts, d’escrocs et de psychopathes (« Mais si, c’est une bonne idée, de faire sauter le coffre au bazooka… »). Seul Pino lui-même semble surnager : face au coffre, tout de même impressionnant, de la Brink’s, il prend le « job » comme un défi personnel.
Losers Connection
Friedkin égrène les scènes cocasses, ou le burlesque tient avant tout à montrer le décalage entre l’image oppressante d’une Brink’s imprenable, et la réalité – même eux rognent sur les bouts de chandelle… Pour bancals qu’ils soient, les braqueurs ne sont jamais la cible de l’ironie du réalisateur, qui prend un véritable plaisir à créer une bande maladroite, mais dans laquelle chacun – y compris ceux qu’ils cambriolent au quotidien – trouvera de quoi se taille un modèle. Friedkin subvertit avec douceur et bienveillance le rêve américain, fait de ses gentils crétins voleurs des héros philosophes, voire moraux. Le réalisateur semble, avec ce passage inattendu dans la comédie, vouloir dynamiter l’image sévère qu’on associe à son brutal French Connection, tout en brodant une critique acide du monde de la police, et des autorités. Une élégante satire, à la douceur inattendue, que cette édition DVD propose de découvrir en VO sous-titrée, ou en VF.