L’Enlèvement retrace l’affaire Edgardo Mortara, qui fit grand bruit en 1858 : un jeune enfant juif de six ans, que sa nourrice aurait baptisé alors qu’il était encore un poupin, est arraché à sa famille par l’Église catholique italienne lorsque cette dernière apprend tardivement le sacrement clandestin. Par ce fait divers que Spielberg voulut un temps adapter, Marco Bellocchio remet sur le métier sa grande affaire : l’entrelacement de l’intime et de la grande Histoire, qui s’interpénètrent pour dresser un tableau fragmenté de l’Italie. Comme dans Esterno Notte, dont on retrouve d’ailleurs ici quelques acteurs, le kidnapping s’apparente à une déchirure dans la chair même d’un pays, dont les tumultes politiques se mêlent à cette histoire de conversion forcée. Bref, c’est du pur Bellocchio, pour le meilleur et pour le pire : quand bien même chacune de ses dernières œuvres (Le Traître et Vincere compris, pour citer les plus remarquées) comportent leur lot de scènes réussies, on a du mal à s’enthousiasmer pour la forme aussi opératique que par endroits compassée travaillée par le vieux maître italien.
Il n’empêche, L’Enlèvement n’est pas sans idées. La mise en place du récit procède par exemple d’une étrange inversion des pôles : tandis que la demeure de la famille Mortara est plongée dans une semi-pénombre, le voyage qui mène l’enfant à Rome est au contraire assimilé au surgissement de la lumière et de l’ouverture à l’extérieur. C’est toutefois à un autre niveau que se joue véritablement le film : celui de la rime et du montage alterné. La figuration du syndrome de Stockholm passe ainsi par un jeu d’échos entre des scènes parfois lointainement éloignées (Edgardo qui se réfugie sous la soutane du Pape comme sous les jupons de sa mère), ou juxtaposées (une double mort à l’issue du film), tandis que Bellocchio entrelace une scène de procès avec la confirmation du garçonnet. De ce principe, le film tire de belles scènes de mélodrame, mais aussi des passages autrement plus empruntés (exemplairement, les scènes animées avec le Pape), qui l’empêchent d’assouvir ses ambitions de grande fresque, dont les coutures restent trop apparentes.