Si le film à costumes est peut-être devenu sa spécialité, Stephen Frears a souvent eu le bon ton de minimiser le rôle de la direction artistique — et d’entraver au maximum toute tentative solennelle ou majestueuse — afin d’y réduire les personnages à leur condition humaine, au-delà de leur fonction sociale. Les Liaisons dangereuses plaçait ainsi ses personnages dans ce dédoublement, des êtres occupés à étaler leur précieuse noblesse alors qu’ils n’étaient guidés en réalité que par leurs petites ambitions personnelles. Fidèle au style de son auteur, Confident royal s’attache au portrait intimiste de la Reine, au-delà des parures royales.
Grand guignol
Pour cette nouvelle réalisation, Frears n’hésite pas à grossir parfois le trait (le maniérisme exacerbé des aristocrates anglais, la portrait infantilisé du prince « Bertie », futur Edward VII) ni à manier le grotesque, quitte à entrer dans le registre de la caricature. Lors d’une séquence, des sujets tentent d’espionner la Reine en écoutant à la porte de son bureau. La caméra se déporte alors sur le postérieur cambré de l’un des indiscrets, gros plan cocasse que choisit Frears pour accentuer la roublardise de la scène, et qui associe astucieusement plusieurs registres de comique (mœurs, situation et gestes).
C’est que la profonde amitié entre la Reine Victoria et un modeste valet issu de l’Empire britannique des Indes, Abdul Karim, ne semble intéresser son réalisateur que pour les incongruités et les distorsions qu’elle génère sur le pouvoir royal — Abdul passe rapidement du statut de valet à celui de conseiller, puis maître spirituel (« Munshi »), exacerbant la jalousie et le racisme des sujets de la Reine. Le film s’évertue donc en premier lieu à présenter la Reine dans son statut de souverain, puisque Frears cadre les parcelles de son corps, et y confond, par le montage, l’ensemble de ses sujets (aristocratie et employés) ainsi que ses différents accessoires (robes et bijoux attestant de sa fonction royale) ; soit la Reine pour ce(ux) qu’elle représente.
Confident royal s’avère finalement contrasté : entre les intentions esthétiques de son cinéaste, l’alternance de ton (comique burlesque pour servir la mécanique usée du choc des cultures, et sérieux) et le cahier des charges scénaristiques. Ce dont témoigne l’ouverture du film, montage alterné entre la préparation de la souveraine, et Abdul s’accommodant du faste des cérémonies pompeuses et des protocoles risibles tout en découvrant ce nouveau monde — antagonisme caricatural résumé en une réplique faisant office de leitmotiv, « ce sont vraiment des barbares, ces Britanniques ».
Entre noblesse et grotesque
La première apparition de Victoria face caméra, en gros plan, constitue alors un brutal retournement trivial, contrastant avec les premières séquences. Gommant toute la majesté du personnage, Frears force le trait : une veille femme fatiguée et gourmande, qui mange sans raffinement. Manifestation qui s’oppose par ailleurs radicalement aux séquences intimistes avec Abdul, où Judi Dench, qui incarne Victoria, entre dans un registre plus dramatique et émotionnel.
Abdul est pourtant mis en retrait dans le second acte. Le scénario s’attarde alors sur la gronde et la jalousie de l’entourage de Victoria, ainsi que sa tentative de complot. L’importance croissante d’Abdul dans la vie de la Reine se résume en une belle séquence : Sir Henry, secrétaire de Victoria, dépose le courrier devant la Reine, puis recule, laissant apparaître, derrière lui, la silhouette d’Abdul, tapi au fond de la salle, comme faisant déjà partie du décor. Le valet s’est ainsi greffé à l’environnement (il fait littéralement partie des meubles) de la Reine, se mélangeant comme un autre à ses sujets, tout en ayant le privilège d’une relation intime.
Même si Confident royal reste donc très inégal dans sa peinture, entre grotesque assumé et abruptes séquences d’émotivité, il persiste une réelle volonté esthétique — au détriment d’un sujet finalement déjà vu maintes fois (le rapprochement entre deux êtres aux cultures et rangs sociaux opposés). Un très beau plan, vers la fin du film, illustre l’ambition du réalisateur : la Reine Victoria, coiffée de sa couronne, cadrée au travers d’un miroir, avant que la caméra ne recule pour laisser voir uniquement son visage fatigué, sans les apparats monarchiques. En injectant un élément perturbateur qui amplifie le caractère hostile des opposants (ce dont se résume finalement le rôle d’Abdul), permettant un déploiement des intrigues de la cour, Frears entend déposséder la Reine de ses attributs royaux — elle rompt les protocoles et s’ouvre à son protégé — pour y débusquer la femme, l’humaine, derrière la fonction.