Il faut attendre le générique de fin et la musique qui accompagne le défilé des crédits – « Everybody knows » de Leonard Cohen – pour que The Program trouve ce qui aurait pu être sa véritable ligne directrice. Au fond tout le monde savait que Lance Armstrong se dopait. Les institutions mondiales du cyclisme, les coureurs, les journalistes… Mais tous se taisaient selon la bonne vieille règle de l’omerta. Toute vérité n’est pas bonne à dire surtout si sa révélation peut conduire à l’effondrement d’un système rémunérateur et gratifiant. The Program aurait pu mettre en lumière cet effacement du réel devant la construction d’une fiction avantageuse pour chacun. Par ricochet, le public aurait été interrogé dans sa propension à adhérer à ces récits fabriqués, factices, mais rassurants car créant de l’ordre dans le chaos du monde. Sauf que le nouveau film de Stephen Frears ne s’engage pas dans cette voie. En fait, il en emprunte de multiples, pour n’en choisir finalement aucune.
Le roman d’un tricheur
The Program est d’abord le portrait de l’homme trouble qu’est Lance Armstrong, mythomane retors dont les aménagements avec le véridique adhèrent étrangement aux pires traits de notre époque (quête éperdue de célébrité, argent roi qui corrompt et soumet…). Pas vraiment dans l’épure, mais efficace dans son jeu, Ben Foster arrive parfois à nous faire ressentir les failles de cet être complexe, englué dans son propre mensonge, à la fois manipulateur hors pair et marionnette d’un jeu qui malgré tout le dépasse. Mais The Program n’est pas seulement le biopic d’un tricheur. C’est aussi l’histoire d’une rivalité entre deux visions du monde représentées par le Texan Armstrong et le Mormon Floyd Landis (étonnant Jesse Plemons), coéquipiers avant de devenir adversaires de prétoire, où le mensonge est pour l’un une option à utiliser si besoin dans la construction d’une mythologie personnelle, alors que pour l’autre elle est une source de destruction psychique au vu de son éducation stricte prônant le respect de certaines valeurs. The Program est enfin le film fait-divers par excellence racontant un épisode connu de tous sur le mode d’un gentil thriller avec une trame d’enquête incarnée ici par le journaliste David Walsh (sympathique Chris O’Dowd) – forcément courageux, forcément intègre, forcément Don Quichotte esseulé –, dont l’un des livres portant sur le cas Armstrong a servi de canevas au scénario.
Des enjeux escamotés
De Philomena à Tamara Drewe, Stephen Frears a tendance à se la jouer facile ces derniers temps, avec élégance, avec maîtrise certes, mais sans forcer son talent. Divertissante, ce qui n’est pas une tare, sa production récente avait au moins le mérite d’offrir une proposition de cinéma cohérente. Se noyant dans un trop-plein d’intentions contradictoires, The Program n’atteint malheureusement pas ce niveau. Le projet sent trop la commande opportuniste, écrit à la va-vite, mal pensé car peu pensé, où il s’agissait davantage de griller d’éventuels concurrents sur le traitement de l’affaire Armstrong que de proposer une œuvre solide et pertinente. Pour preuve, il suffit de noter l’échec absolu de la représentation de la course cycliste dans The Program. La reconstitution demandant un budget que le film n’avait à l’évidence pas, la compétition en est réduite à quelques scènes médiocres (une poignée de coureurs grimpant un raidillon, un plan de pédalier qui grince, le souffle d’un coureur, un podium sur fond vert…) qui ne rendent absolument pas compte du sport traité. Devant le manque d’inspiration (à comparer par exemple aux plans envoûtants de Tour de France dans Sombre de Philippe Grandrieux), le recours aux images d’archives en est presque logique, trahissant le triomphe du réel sur cette fiction-là, trop molle, insignifiante et désincarnée.
La prestation de Guillaume Canet dans le rôle du Dr Michele Ferrari, concepteur de ce fameux programme de dopage que va suivre Lance Armstrong, est tout autant symptomatique des errements du film, de cette volonté manifeste de ne pas affronter les enjeux qui le traversent. Couvert de postiches, choisissant un accent improbable, il singe un Italien farcesque de série B, mafieux à la Martin Scorsese, comme si toute cette histoire de dopage était en résumé risible, ne devant se résumer qu’aux basses manœuvres d’une bande de pieds nickelés sans envergure. Outre la vulgarité de sa prestation, il construit un personnage très éloigné du scientifique transalpin plus effacé que grandiloquent dans la vraie vie, le transformant en mauvais méchant de bande dessinée, le déréalisant par la moquerie facile. Dans le rôle de Johan Bruyneel, l’entraîneur de Lance Armstrong sur ses Tours de France victorieux, sans maquillage pour le coup si ce n’est une légère teinture des cheveux, Denis Menochet est bien plus convaincant. Campant un opportuniste cynique et détaché, il adresse un magnifique regard lorsque Lance Armstrong éclate d’un rire sardonique en constatant qu’il n’est que troisième du Tour de France qui marque son retour à la compétition après une retraite anticipée. Ce regard est plein d’effroi, sidéré par le monstre humain qui se tient devant lui, de ce winner prêt à tout pour ne jamais perdre, de ce pur primate sans civilisation. Et ce regard aurait dû être le nôtre durant tout le film, si seulement Stephen Frears avait assumé un point de vue.