S’il n’a plus rien à prouver en tant que réalisateur, Stephen Frears reste néanmoins tributaire des scénarios qui lui parviennent, puisqu’il n’est pas l’auteur de ses films. Tiré des mémoires de son affriolante héroïne, celui de Lady Vegas est plutôt cocasse et sympathique, mais même s’agissant d’une récréation, on peine assez vite à lui trouver de l’intérêt.
C’est un peu comme si le cinéaste britannique s’était emparé de cette histoire parce qu’elle lui fournissait l’occasion de revisiter en quasi-touriste (une partie de) sa propre filmographie : on y retrouve ainsi une version ludique du milieu des parieurs et des bookies, toile de fond de ce sommet du film noir qu’est Les Arnaqueurs (adapté de Jim Thompson, auteur d’une autre trempe), une atmosphère « geek & friendly » pas si éloignée du réjouissant High Fidelity (tiré d’un livre de Nick Hornby), et une bombe en micro-short à la Tamara Drewe (adaptation déjà très légère d’un roman graphique) : Rebecca Hall, laquelle, après avoir campé quelques cérébrales, excelle dans ce nouveau registre. Esthétiquement au moins, on reconnaît rapidement la patte de Stephen Frears, (certaines de) ses lumières, ses cuts parfois abrupts ; sa vivacité et sa malice aussi, dans un début de film guilleret où, après une exergue bondissante (« Comme par hasard, c’est une histoire vraie »), notre ravissante écervelée (bien sûr plus fine qu’elle n’en a l’air), qui n’a pas osé avouer à son père qu’elle exerce l’honorable profession de strip-teaseuse à domicile, lui confie avec une candeur désarmante qu’elle veut partir à Las Vegas, Babylone yankee, pour y devenir serveuse. Léger silence. Le père exulte, quelle formidable idée… Il n’en faut pas plus pour réjouir un spectateur, parfois.
Quelques dialogues habiles et personnages hauts en couleur plus tard, à commencer par un Bruce Willis pantouflard baignant dans un short informe, patron très sourcilleux d’une entreprise de paris sportifs (Dink Inc., écho comique) vissé de près par sa Zeta-Jones de femme, tout semble réuni pour composer l’un de ces films cools de combines à Las Vegas tels qu’on a le sentiment d’en avoir déjà vu un paquet de moisis pour quelques bons – la satire d’une profession dont le mythe est largement tourné en dérision venant s’ajouter au tableau. Le hic, c’est que ce récit et l’ascension de son héroïne dans cet univers, pour surprenante qu’elle soit (la bimbo se révèle douée pour les chiffres), ne débouchent pas sur grand-chose, au mieux une série de péripéties comico-amoureuses tressant un fil narratif ni déplaisant, ni palpitant. Même un excellent couturier ne peut faire de miracles avec ces bouts de pelote ; et le spectateur de laisser agréablement filer le film, au bout d’une grosse demi-heure, en observant les gesticulations de Vince Vaughn et les minauderies couguar de Catherine Zeta-Jones, et en espérant vainement que le cocktail explose.
Il eût peut-être fallu plus de vice, ou un savoureux méchant façon Grand-Guignol (puisqu’on n’est pas dans le naturalisme), tout ce petit monde restant trop gentiment barré, pour ne pas dire gentillet – et l’on s’amuse à cet égard du climat un tantinet féerique dans lequel évolue la jolie Beth, qui navigue à vue au milieu des (assez) bonnes volontés. La subtile immoralité de l’ensemble prend donc insidieusement un tour bon enfant qui ne sauve pas le film d’une progression de plus en plus laborieuse vers son épilogue, Stephen Frears ne trouvant pas non plus matière à creuser une profondeur – sans échouer complètement à créer une atmosphère, comme il a toujours su le faire. L’hybridation dysfonctionne, un peu comme si les personnages de High Fidelity (crème du feel-good movie) étaient effectivement venus interférer dans l’univers des Arnaqueurs, lénifier une intrigue de comédie aux méandres « Tamara-Drewiens », qui à défaut d’être vénéneuse, aurait pu être mordante ou survoltée. En somme, le film de combines manque d’enjeu, d’influx, son emballement et celui de ses personnages à l’approche du climax laissant du coup l’impression d’un énervement un peu artificiel. Si Lady Vegas (Lay the Favorite, jouer contre le favori, en VO) a commencé par bondir, ses rebonds sont comme les ricochets d’un caillou à la surface de l’eau : de moins en moins aériens, suivant une trajectoire qui s’épuise, jusqu’au moment où l’objet vient à plonger. Dommage pour un film léger.