Entre deux opus éminemment politiques, un téléfilm retentissant sur l’ascension de Blair au sein du parti travailliste et un futur long métrage sur la Reine et la mort de Lady Diana, Stephen Frears s’est plu à mettre en scène une nouvelle histoire « vraie ». Cette évocation retrace les aventures du théâtre du Moulin (Windmill), dont l’audace des revues – comprenant des tableaux de femmes nues – n’a d’égal que le courage patriotique qui fit de ce « Moulin Rouge » londonien un acte de résistance à la face des bombardements du Blitz.
Dans une scène inaugurale délicieuse où les panoramiques sur l’actrice principale révèlent à la fois la rigueur du moment et la liberté de ton du personnage, nous apprenons que Laura Henderson est désormais veuve. Le mari défunt, qui n’est sans doute pas étranger au statut et aux appuis politiques nécessaires à la future dirigeante d’un théâtre, restera très justement invisible à l’écran, comme il l’est dans le cœur de la dame, ravagé par un deuil bien plus cruel. Forte de ces deux aléas de la vie, l’aristocrate désœuvrée achète un théâtre abandonné, bien décidée à en faire son nouveau passe-temps. Les dons de gestion et de mise en scène de Monsieur Van Damm, que Madame Henderson embauche à la direction du théâtre, couplés avec sa ténacité et son impertinence, permirent au spectacle de continuer, dans le seul théâtre de Londres, porté par un slogan légendaire (« We never closed » / « Nous ne fermons jamais ») à rester ouvert durant la Seconde Guerre mondiale.
Madame Henderson présente est un film en costumes de commande, réalisé à partir du scénario d’un autre, qui fait appel aux qualités du cinéaste, présentes dans ses deux adaptations antérieures : Les Liaisons dangereuses mettaient prodigieusement en scène le caractère épistolaire et libertin du roman, tandis que Mary Reilly empruntait le point de vue intimiste et charnel d’une des servantes du plus célèbre schizophrène de la littérature classique anglaise, le docteur Jekyll.
Si le film est réalisé presque entièrement en studio, la qualité des décors et des costumes de Madame Henderson présente ne prend jamais le pas sur les échanges des deux comédiens, dont les répliques grinçantes lorgnent vers la screwball comedy américaine. En effet, Stephen Frears a choisi de faire œuvre de précieux archiviste en travaillant à partir des photos de mises en scène et des partitions d’époque pour recomposer et diriger ces spectacles de music-hall emblématiques. Ainsi, tout au long du film, Stephen Frears isole et souligne l’érotisme de ces tableaux « humains » (la pyramide indienne, le couple flamenco, les « babies » du Blitz…) qu’il intègre parfaitement au déroulement du film. Subterfuge à la censure de l’époque, qui voulait que seule la nudité immobile soit artistique, ces tableaux sont pour le spectateur d’aujourd’hui un charmant clin d’œil érotique qui lie le plaisir à la résistance aux époques sombres ! Les tableaux sont constamment isolés dans les plans, depuis le jeu malicieux du champ/contrechamp des planches du théâtre à la salle de spectacle, lors des nombreuses répétitions de ce « film de coulisses », jusqu’aux présentations publiques soumises aux aléas des bombes, voir à l’érotisme patriote d’une danseuse ingénue qui improvisera elle-même sa geste finale. La présentation de « revues » au ton coquin, optimistes et légères, évoquent une autre mémoire européenne de la Seconde guerre mondiale, à l’opposé de la sombre atmosphère qui préside au couple du Dernier Métro, qui partage avec Madame Henderson présente l’esprit de résistance du théâtre, la période historique de la Seconde guerre mondiale et l’évocation des origines juives de l’artiste. François Truffaut, au faîte de sa reconnaissance, et réalisateur compulsif comme Stephen Frears, avait également tourné en studio son scénario sur l’occupation allemande à Paris.
Les deux types de personnages de Madame Henderson présente confrontent la figure de la gentille, énergique, têtue et maladroite, mais brave mamie richissime, face à celle de l’homme de labeur, roc d’assurance et pétri de savoir-vivre anglais. Le visage pétillant et espiègle, voire gamin, de la tonitruante Judi Dench se marie parfaitement avec la stature petite et grave de Bob Hoskins. Sa prestation est une sorte de miroir apaisé en comparaison avec la figure d’ogre qu’il incarnait dans le Voyage de Felicia d’Atom Egoyan. Les deux acteurs sont pour beaucoup dans le charme du film, jusque dans cette scène de studio qui frôle le kitsch désuet lorsque nos deux chastes héros dansent sur le toit du théâtre, au milieu d’une ville bombardée, sous un coucher de soleil « studiosement » rosé…
Numéros de comédies musicales, dialogues ping-pong comme dans les screwball comedies américaines, antagonisme de classe, satire aristocratique et tragédie de la Seconde guerre mondiale donnent un rythme certain au film, mais cette réjouissante diversité contraint la mise en scène à n’approfondir aucune de ses esquisses.