En adaptant le roman graphique de Posy Simmonds, Stephen Frears a eu du nez. Un nez aussi fin que le nouveau dont l’héroïne éponyme de son dernier film s’est entiché. Troquant le profil de Cyrano pour celui de Roxanne, Tamara revient dans le village de son enfance et vient chambouler les habitudes d’une galerie de truculents personnages. Rythmé, drôle, impertinent et pas si léger qu’il en a l’air, Tamara Drewe réjouit et emporte l’adhésion.
Campagne rayonnante, blés dorés à perte de vue, soleil couchant… Un grand et beau paysan, muscles bandés, est filmé en contre plongée, en plein effort. Nous ne sommes pas dans un épisode de La Petite Maison dans la prairie, mais dans la dernière réjouissance de Stephen Frears, Tamara Drewe. L’ambiance douce-amère et l’ironie pointent déjà dans cette première scène. Frears prend un malin plaisir à détourner le décor et les images d’Épinal. Frears, qu’on attend partout et nulle part, qui a le don de passer d’un genre à l’autre, revient ici à la comédie de mœurs, dix ans après High Fidelity. Il est difficile de faire rentrer le cinéaste britannique dans la case d’un genre ou d’un style tant ses films naviguent d’une époque à l’autre et abordent des thématiques très diverses. On peut néanmoins, au regard de sa production de ces dernières années, trouver un fil rouge : une envie de filmer des femmes, de tête, de corps, de pouvoir, qu’elles soient reine (The Queen), courtisane amoureuse (Chéri), ou amazone contemporaine (Tamara Drewe). Surtout, ce dernier film était une belle façon de se remettre de l’échec commercial de Chéri (2009). Avec le roman graphique de Posy Simmonds, le réalisateur avait une matière en or pour revenir à quelque chose de plus simple, sans grandes stars, plus léger. Une comédie dont l’esprit est caustique et l’humour noir. Sa Tamara, dans son décor un peu romantico-désuet, est aussi une reine et une courtisane. C’est la grande fille saine de la campagne devenue Londonienne branchée, Quasimodo devenue Esmeralda par la magie du bistouri, l’aspirante à la gloire et à la beauté tout à fait consciente de son pouvoir sur les hommes.
Soit un coquet village de la campagne anglaise. Dans le tout aussi coquet jardin de Beth et Nicholas Hardiment, auteur de polar à succès, des grattes-papier plus ou moins bras cassés sont en résidence d’écriture : la néo-gothique auteur de polars lesbiens, l’adepte niaise du roman à l’eau de rose, l’universitaire gourmand et gauche en panne sur sa biographie de Thomas Hardy… Une galerie de truculents personnages que viennent compléter deux ados adorables et pestes qui tueraient pour un peu d’animation dans le village, une truculente rock star vénérée par les ados sus-citées, une fermière élégante à la gâchette facile, une serveuse au cœur et au corps offert. Là-dessus déboule Tamara, de retour dans son village d’enfance après la mort de sa mère. La jeune et belle va, plus ou moins directement, chambouler les habitudes et la tranquillité de la campagne, remettant finalement les choses à leur place après un grand coup de pied et quelques volées en éclats.
Tamara Drewe n’est pas un « film choral ». Plutôt un opéra résonnant des arias de la cantatrice Tamara et dans lequel chacun a sa scène de bravoure. Bâti au rythme des quatre saisons, le récit joue de l’alternance des points de vue, générant un montage vif autour de personnages très typés sans être stéréotypés. Une galerie d’abîmés, de cœurs brisés, de soupirants de l’amour. Des antihéros du quotidien, avec leurs mesquineries, leur génie qui se régalent de jeux de mots, suscitent comique de situation, joutes verbales, cynisme et humour noir. Les histoires se mêlent et vacillent autour du personnage de Tamara, pivot d’un scénario qui va de surprise en surprise sans pour autant se refuser quelque dénouement attendu mais fort bien amené, notamment dans la formation des couples.
Pour autant, Tamara Drewe n’est pas qu’une comédie légère, bien écrite et vivante. C’est une tragi-comédie où défile le genre humain, ses petitesses et ses grandeurs, ses arrangements avec la vérité et la réalité. Un film qui se moque gentiment des écrivains, aussi fluide et plaisant que le livre dont il est adapté. Le résultat final a quelque chose d’un conte qui colle bien avec l’esprit du roman graphique de Posy Simmonds, porté par une mise en scène qui doit beaucoup au décor de cette campagne anglaise. Jouant des va et vient entre intérieurs et extérieurs comme il va et vient entre la communauté et les intimités, Frears colle à ses personnages, traque le détail du décor, du paysage, où s’épanouiront et se révèleront des personnalités. Cette fusion réussie entre décors et personnages, mise en espace et rythme du récit, n’est pas sans rappeler certaines autres réjouissantes Liaisons dangereuses. Des liaisons qui, dans Tamara Drewe, vivraient d’autres codes, d’une autre époque, la nôtre.