Tout, dans Saw, fait mal : l’affiche (mais si, rappelez-vous des molaires nécrosées arrachées pour figurer le « III » du troisième volet) ; le scénario, indigent mais cruel ; le jeu d’acteur inepte de ses protagonistes ; et surtout, la barbarie impressionnante des sévices proposés à l’écran. Mais James Wan, réalisateur du premier, saurait-il, à l’instar de Takashi Miike, sortir de l’ornière du trash à tout prix ? Hélas, non. Wan reste l’homme d’un unique petit succès roublard.
Le renouveau du cinéma d’horreur, s’il est certainement avéré en Orient (où fleurissent les talents à la suite de Bong Joon-ho et Kiyoshi Kurosawa), et en Europe (avec Del Toro, De La Iglesia, Neil Marshall, Edgar Wright…), reste un mouvement artistique à confirmer au pays de l’Oncle Sam. Les grandes sensations du genre venues d’outre atlantique, Saw et Hostel, misent avant tout sur la surenchère sale et barbare en lieu et place d’un véritable travail cinématographique pour définir leur style. Grand bien leur en prend, d’ailleurs : cette option est forcément génératrice d’un potentiel de suites ininterrompu – ce qui n’a pas manqué de se concrétiser. Soit. Admettons que, les tabous cinématographiques tombant les uns après les autres, l’heure soit à la violence la plus démonstrative possible (loin des au moins aussi traumatisantes images des bien plus suggestifs Massacre à la tronçonneuse, Mad Max ou Orange mécanique). La question reste posée : que faire, au moment où la surenchère ne suffit plus ? Que proposer, qui reste cinématographiquement prégnant, lorsque la lassitude vient forcément ? Maître de l’ultraviolence cinématographique, Takashi Miike n’en demeure pas moins un véritable artiste, capable, même dans ses pires moments, d’insuffler une identité et un souffle à l’image. Hélas pour lui, il n’en va pas de même pour James Wan, le petit malin à l’origine de la vache à lait Saw, qui s’essaye aujourd’hui à une horreur plus traditionnelle avec un Dead Silence bien fade.
Jamie et Ella Ashen sont jeunes, beaux, mariés, heureux. Ce, jusqu’au soir fatidique où une main inconnue dépose sur le pas de leur porte un mannequin de ventriloque. Le soir même, Ella est assassinée, et Jamie, se souvenant fort à propos que les mannequins de ventriloque portent une malédiction dans son village natal (si, si), rentre chez lui pour tenter de comprendre. Il faut avouer, malgré un pitch passablement crétin – même dans le domaine de l’horreur surnaturelle, qui pourtant en a vu d’autres – que les premières images, le générique de Dead Silence laissent frémissant d’espoir le fantasticophile : esthétique outrée, filtres de couleur, montages et cadrages frénétiques et judicieusement stressant, le tout au croisement de l’esthétique de Se7en et d’un giallo saturé de couleurs… Hélas ! Le générique à peine fini, le film tombe dans une esthétique télévisuelle creuse, accompagnée d’acteurs d’une platitude remarquable (avec en premier lieu l’acteur télé Ryan Kwanten, convaincu comme St Thomas, et Donnie Wahlberg, qui cabotine comme rarement), mais surtout d’un scénario d’une affligeante bêtise. Bêtise à plus d’un titre, puisque si le film accumule les poncifs du cinéma d’horreur (« Tiens, un cimetière inconnu. Il est minuit, une série de meurtres frappe la région et le brouillard est partout : si j’allais y faire un tour ?»), il fait surtout preuve d’un amateurisme quant au traitement de son sujet qui montre bien qu’au delà de la roublardise cradingue de son surévalué Saw, James Wan ne connaît pas grand chose aux principes d’un fantastique efficace. Ainsi, privilégier un fantôme vengeur comme antagoniste dans une « histoire de poupées », sans jamais jouer du réel et très inquiétant potentiel de celles-ci montre bien l’absence d’amour du genre du réalisateur.
La poupée était déjà le gimmick dans Saw : Wan n’aura donc jamais voulu autre chose que de transférer une idée gadget d’un film qui l’est tout autant vers un film plus traditionnel. Peine perdue, monsieur Wan : un film fantastique digne de ce nom ne se nourrit pas seulement d’images chocs, mais bien de talent. Il en faut pour savoir rendre pleinement justice au travail de ses décorateurs, éclairagistes, maquilleurs : toutes les petites mains qui enluminent la poésie inhérente à tout film fantastique. Or, ici, celles-ci ont manifestement su faire honneur à leur rôle (la toute dernière scène, redoutablement troublante, et le magnifique décor du théâtre en sont la preuve), et seul le metteur en scène est à blâmer pour la débâcle de Dead Silence.