Pour qui a été saisi par l’inventivité foutraque d’Aquaman, film assez fou, certes très vu (dans les trente plus gros succès mondiaux au box-office, tout de même) mais trop peu commenté, Malignant risque dans un premier temps de décontenancer, avant de confirmer que oui, décidément, le cinéma de James Wan, aussi inégal que par instants brillant, fait de la déraison son terreau. Difficile de résumer l’intrigue sans trop en révéler, mais on dira simplement que Malignant condense à peu près tous les précédents films d’horreur de Wan (le goût de Conjuring pour le hors-champ, les espaces mentaux d’Insidious, les torsions narratives de Saw), greffés à un récit télescopant Halloween de Carpenter, Phenomena d’Argento et les acrobaties du wu xian pan (!). Bref, un mélange parfois très étonnant, qui accouche d’un slasher expérimental à moitié raté, flirtant souvent avec le nanar (toutes les scènes policières, notamment, font preuve d’une désaffection semi-parodique rappelant douloureusement le récent Spirale : l’héritage de Saw), mais strié d’éclairs de génie, de trouvailles plastiques et de montage autrement revigorantes. La part la plus belle du film tire sa force de la leçon retenue d’Aquaman (mais aussi de Conjuring 2, déjà très inspiré sur ce terrain) : l’image numérique autorise une élasticité de la mise en scène, qui nourrit autant la matière des effets spéciaux que l’inventivité de raccords liant entre eux des espaces disjoints.
La grande idée du récit tient ainsi à sa manière de faire du lien psychique mystérieux reliant Madison (Annabelle Wallis) à un tueur en série doté de pouvoirs surnaturels la source de séquences horrifiques marquées par une porosité des espace-temps. Les astuces usuelles de découpage et de jeux sur l’invisible se couplent à une maestria des effets spéciaux – les panoramiques où Madison, immobile, voit autour d’elle la matière de l’espace se reconfigurer à l’œil nu, et le décor où s’insinue l’antagoniste remplacer les murs de sa maison. De ce principe, le film tire des séquences parfois brillantes, et des visions qui, mises bout à bout, révèlent dans le pli du découpage le « twist » du film, à peine masqué, mais qui une fois dévoilé laisse place à un spectacle grand-guignol, sans aucune peur du ridicule (cf. un raccord incroyable, que l’on ne racontera pas, qui se joue autour de la chute d’un personnage captif). On pourra, devant ce spectacle inégal, ressentir une certaine déception à voir Wan continuer de cultiver une écriture où le génial côtoie l’informe, mais c’est aussi l’intérêt de Malignant, film au fond au-delà du « bon » ou du « mauvais », que de confirmer ce que l’on suspectait déjà : son cinéma est officiellement cliniquement fou – car quel metteur sain d’esprit peut prétendre inventer un film aussi aberrant, et parfois tout de même impressionnant, que ce monstre de Frankenstein ?