Aquaman est un film assez fou (ce qui fait sa force et sa limite) dont il paraît difficile de parler sans privilégier, même involontairement, un pan au détriment d’un autre. On tient là en effet un drôle de blockbuster, sorte d’enfant du cinéma des sœurs Wachowski (son hybridation n’est pas sans évoquer l’inventivité un peu monstrueuse de Matrix Reloaded) et celui de Zack Snyder, dont l’imagerie kitsch est devenue le socle, après Man of Steel et Batman v Superman : L’Aube de la justice, de l’identité des films DC. Ce mariage ne suffit toutefois pas à circonscrire l’ensemble des oscillations qui peuvent s’exprimer à l’intérieur d’une même scène : un raccord numérique d’une grande finesse peut ouvrir sur une séquence en roue libre (notamment ce qui se tisse autour du personnage campé par Nicole Kidman), tandis qu’une scène d’action parfaitement lisible dans sa découpe peut mettre en scène des personnages tenant autant du jouet pour enfants que de la figure grossièrement shakespearienne. Néanmoins, la dimension ouvertement chaotique de l’œuvre ne doit pas occulter qu’elle suit un cap formel défini et que l’on retrouve dans de nombreux films numériques : la plongée dans l’univers numérique (ici l’inframonde marin) doit nécessairement passer par un retour aux origines et au primitif. Qu’est-ce qu’est ici l’origine ? D’abord, un double mythe : l’Atlantide, qui sert de terreau à l’imaginaire du film, mais aussi les légendes de la Table Ronde. Aquaman s’appelle en réalité Arthur et cette ascendance héroïque jouera un rôle important dans la résolution du film. Ensuite, une béance : l’entrée dans l’Atlantide se fait par un triangle de lumière qui n’est pas sans évoquer l’origine du monde. Il faut relever sur ce point l’obsession du trou dans nombre de blockbusters numériques, trou compris à la fois comme rupture des frontières physiques traditionnelles (par exemple : la gravité, la pression sous-marine, les trois dimensions de l’espace, etc.) et ouverture vers un ailleurs en permanence redéfini. Il est en cela logique que le trajet du héros relève d’une plongée vers une profondeur au-delà de la profondeur (une mer cachée dans une brèche – là encore figurée par une fente aux allures de vagin), tapie dans les abysses. Enfin, l’Histoire : que trouve-t-on dans cette mer cachée ? Une île où vivent toujours des espèces du Jurassique. Il y aussi un peu plus tôt cette scène, très belle, où Aquaman doit résoudre une énigme en glissant une bouteille dans les bras d’une statue antique à l’effigie de Romulus. En plongeant ensuite son regard dans le goulot, le fond de la bouteille se double d’une surimpression numérique cartographiant le cap marin que doit suivre le personnage. Voir ici autrement, pour accéder à un autre monde (figuré numériquement), implique paradoxalement d’épouser le regard du premier des rois romains.
Le laboratoire
Le territoire aquatique présente dans cette perspective un certain nombre de caractéristiques idéales pour jouer sur la fluidité des effets numériques, comme en témoigne le prologue, brassant les années par un entrelacs de raccords-morphings permettant un dépassement de l’horizon de la coupe, qui traditionnellement tranche et sépare. Sur ce point, le film témoigne autant d’une belle cohérence plastique (ce trajet vers l’origine) que d’une contradiction, étonnante au regard de ce que charrie le récit, dont il faut aussi parler, précisément parce qu’elle participe tout autant à l’expérience hétéroclite que donne à ressentir un objet si touffu. Aquaman, en tant que fruit d’une union inter-espèces, est l’élu destiné à abolir la partition entre la surface (la terre) et les profondeurs (l’Atlantide). Il présente de surcroît la singularité de pouvoir comprendre et parler avec les animaux, animaux qui sont nombreux dans l’univers aquatique, à la fois comme montures (requins, baleines) et espèces hybrides (on croise des tritons et des hommes-crabes). Or, sur ce point, le film ne se départira jamais d’un spécisme à rebours des enjeux portés par le personnage. Lesdits hommes-crabes sont ainsi présentés comme une espèce ayant régressé, tandis que la première scène se situant dans le royaume de l’Atlantide voit le conseiller royal, l’adjuvant joué par Willem Dafoe, jeter un poisson en dehors de la bulle d’air où conversent les protagonistes, arguant que « c’est plus propre ainsi », sans les bêtes. Cette contradiction témoigne, au-delà de l’imaginaire aristocrate de DC, du caractère hybride d’un film qui plonge de plain-pied dans des enjeux dont il ne semble pas toujours avoir conscience (ici, un univers numérique où l’infini des possibles formels ouvre la voie à la constitution d’un espace accueillant comme égaux humains et animaux – horizon que creusent des films comme La Planète des singes : les Origines ou L’Odyssée de Pi d’Ang Lee). C’est au fond aussi de cette manière qu’il faut envisager le film : comme un laboratoire où se côtoient tentatives exaltantes et expériences ratées.