Souvenons-nous : le précédent et premier épisode des aventures cinématographiques de « l’Homme de fer » se fermait d’une manière assez audacieuse dans le genre. En effet, l’excentrique milliardaire Tony Stark y révélait crânement — et fidèlement à lui-même — au monde entier sa double identité de super-héros. Une chute impeccable, mais aussi porteuse d’intéressantes attentes — pas seulement pour les geeks guettant l’apparition promise de Samuel L. Jackson en Nick Fury, mais aussi pour les cinéphiles attentifs aux accomplissements de la machine à raconter hollywoodienne. Comment ceux aux manettes de la licence Iron Man — producteurs avant tout, mais aussi scénaristes, réalisateur et, pourquoi pas, acteurs — allaient-ils rebondir sur cette ultime saillie aussi galvanisante (responsabilité de super-héros on ne peut plus assumée, bras d’honneur suprême aux menaces à affronter) qu’inquiétante (la publicité n’en fragilisant pas moins le personnage) ? La machine à raconter oserait-elle transcender son systématisme pour exploiter à fond ces nouvelles propositions et en faire un peu plus que du blockbuster formaté ?
Qualité Marvel
Avec Iron Man et L’Incroyable Hulk, les studios Marvel, voués à l’exploitation cinématographique des créations de la maison d’édition du même nom, se sont enfin montrés des acteurs prédominants des adaptations où ils s’impliquent, et non plus de simples prête-noms touchant des royalties pour des produits vendus entre d’autres mains et promis à des traitements de qualité hasardeuse. Les fans de comics y gagnent au change : c’est désormais Marvel qui veille au respect de l’esprit de ses œuvres originales portées à l’écran, jusqu’aux ajustements nécessaires à la construction d’un divertissement de cinéma solide. Le logique revers de la médaille, pour ceux qui goûtent le cinéma au-delà de la geek attitude, c’est qu’un contrôle aussi attentif, « charté », calibré pour la communion avec les fans laisse peu de place à une sensibilité et des envies plus personnelles, plus originales — disons, celles d’un cinéaste — pour s’exprimer au sein de l’application du cahier des charges. Si jamais Hollywood sait encore créer des occasions de faire valoir un certain cinéma d’auteur, les productions Marvel ont peu de chances d’être de celles-là. Pourtant, s’agissant des Iron Man, il serait injuste de mépriser l’investissement du réalisateur — et acteur — Jon Favreau. Bien moins qu’un auteur, mais un peu plus qu’un yes-man lambda, il démontre ici comme dans le premier épisode un soin à mettre en scène les aventures du super-héros qui dépasse la simple application d’un exécutant servile. Il prend son temps et n’expédie rien, jongle avec aisance — même si ce n’est pas celle d’un Sam Raimi — entre effets spéciaux et instants plus dramatiques, entre délire et sérieux, sa caméra montre un certain entrain à faire briller ses personnages avant d’en laisser paraître les failles à la scène suivante. Dans Iron Man 2, on peut même soupçonner Favreau de prendre ostensiblement son pied dans l’affaire, au vu de sa présence insistante devant la caméra (du jamais vu à ce jour pour un réalisateur de films de super-héros), apparition furtive du premier film devenue ici second rôle comique plus consistant.
Sombrer avec style
Une telle modestie d’artisan au diapason de son matériau dramatique, c’est tout juste ce dont les producteurs ont besoin pour porter en images la nouvelle direction qu’ils souhaitent, via le scénario et le casting de comédiens confirmés, imprimer à la saga Iron Man : plus dramatique précisément, plus émotionnelle, les scènes d’action restant aussi clairsemées que bien dosées. L’étonnante saillie qui concluait le premier épisode, rendant le personnage à la fois plus éclatant et plus fragile, ouvrait droit sur les complications qui font la substance du deuxième. En quelques premières scènes de ce dernier, l’exubérant marchand d’armes, devenu super-Steve Jobs philanthrope, récolte en masse, et à son grand dam, ce qu’il a semé : l’armée et des concurrents privés veulent son armure, une force venue du passé familial veut sa peau, et pour ne rien arranger, le matériau qui lui confère survie et puissance est en train — beau paradoxe — de le tuer à petit feu. Partant de ces prémisses d’un héros désormais people et fier de l’être, mais déjà sur la pente descendante — et feignant bien entendu de rester maître de la situation — le récit pourtant maîtrisé joue la carte de l’emballement et de la fuite en avant, où, sous les doses redoublées d’AC/DC et autres pièces rapportées dans la bande musicale, l’esprit de flambe en apparence débridé est irrémédiablement gangrené par l’amertume. Plus dispendieux et mégalomane que jamais à la face du monde, Stark est le seul à savoir qu’il va en vérité à la mort, et ses frasques en deviennent pathétiques et funèbres. Le pivot de l’entreprise reste le jeu du talentueux Robert Downey Jr dans ce rôle-titre tout en nuances derrière la façade foraine, mais cette fois son ton flegmatique et crâne bute contre la réalité des menaces qui le cernent, contre la vanité à laquelle la mort imminente expose son action, contre l’opposition plus ou moins amicale de ceux qui l’entourent — les seconds rôles à l’importance rehaussée au point de pouvoir répartir à ses vannes et à ses directives. Il trouve même dans l’adversité deux miroirs déformants pour le prix d’un, lui reflétant à la fois son héritage ambigu et sa déchéance en marche : War Machine, copie de son armure qui sera utilisée contre lui, mais aussi le corps bouffi, marqué et meurtrier du tourmenteur associé à ses origines, Whiplash (Mickey Rourke, enfin passé de « revenant » à « revenu », assumant plus fièrement que jamais sa présence physique usée mais vaillante). Et lorsque le combat contre l’un d’eux s’achève dans le silence, par un regard échangé avant que son adversaire ne s’éloigne pour lui signifier un échec, Iron Man sait qu’il a touché le fond — même s’il tâchera comme toujours, dans l’hilarante séquence suivante, de sembler prendre la chose avec légèreté.
Préparer le terrain
Finement jouée par Marvel, cette descente aux enfers. Elle permet évidemment de susciter l’empathie pour un personnage à l’intérêt dramatique décuplé (on s’attend évidemment à ce qu’il ressorte de cette galère plus vaillant que jamais). Mais elle est aussi bien pratique pour caser à la rescousse de « l’Homme de fer » du nouveau matériel made in Marvel, propre à assurer la longévité de la licence et les ouvertures à toutes sortes de prolongements aux multiples adaptations de comics produites et à produire — on parle bien sûr avant tout de nouveaux personnages : Nick Fury, les Vengeurs, un soupçon de Captain America, peut-être un jour Hulk (Tony Stark n’apparaît-il pas à la fin du film de Leterrier ?). C’est que même au plus fort de la créativité, producteurs et script-doctors attentifs à assurer les arrières de la licence veillent au grain et ne lâchent jamais tout à fait la bride. Par endroits, cette emprise d’une volonté impersonnelle démange un peu : dans certains choix commerciaux (comme la présence d’une Scarlett Johansson assez nulle, tout juste bonne à faire de son personnage de Veuve Noire une pin-up se changeant au moment voulu en « Action Barbie »), dans les quelques moments où le scénario se fait un peu trop explicatif (« ce qui te fait vivre te tue » dit-on au héros alors que lui et nous l’avions déjà compris) ou conventionnel sur le plan psychologique (le complexe d’Œdipe que Stark fils traîne toujours). Ces petits défauts rappellent qu’on reste dans la production calibrée qui ne fait finalement qu’atteindre, avec certes une intensité indéniable, les objectifs fixés au départ. Ceci dit, à l’heure où l’industrie hollywoodienne dans son ensemble s’interdit de plus en plus de laisser libre cours aux personnalités de cinéastes en son sein, ce pourrait être le prix à payer pour que l’industrie elle-même dépasse, peu à peu, ses propres limites narratives tout en veillant à sa pérennité. C’est le mieux qu’on puisse en espérer.