Après les images hétérogènes du Livre de la jungle, où des animaux entièrement numériques cohabitaient avec le jeune acteur Neel Sethi dans la peau de Mowgli, Disney est passé à l’étape suivante avec cette adaptation en réalité virtuelle d’un des films les plus populaires de son catalogue. Dans ce Roi Lion de Jon Favreau, plus aucun humain à l’horizon : seules les voix des acteurs habitent les figures animales, laissant la technique leur fournir des corps numériques à même de s’inscrire dans la fiction. Sous le patronage d’un recommencement, avec l’emblématique « The Circle of Life » qui ouvre et referme le film par une boucle (Rafiki soulève Simba au début, puis le fils de Simba à la fin), la transformation, quasiment plan-par-plan, de l’animation classique en numérique s’avère aussi plastiquement impressionnante que passionnante. Le Roi Lion nouveau bénéficie à la fois de la précision de l’animation traditionnelle et du foisonnement graphique permis par les formes numériques et la 3D. Si la découpe épouse parfois celle du film originel, elle s’enrichit d’un véritable écosystème figuratif, là où tous les détails prennent vie et où les formes et les mouvements, de l’insecte à l’éléphant en passant par le souffle du vent sur la végétation, jouissent de la même attention.
Il n’est pas surprenant que la fourrure, l’une des parties du corps animal les plus difficiles à animer, fasse à ce titre l’objet d’une nouvelle séquence à part entière. Au milieu du film, on voit Simba laisser s’échapper une mèche de poil de sa crinière.Attrapée au vol par un oiseau pour renforcer un nid, elle est avalée par une girafe avant d’être transportée, une fois transformée en excrément, par un bousier à travers le désert. Récupérée par une fourmi la pensant comestible, elle est ensuite amenée jusqu’au baobab de Rafiki, qui s’empresse de rejoindre le jeune lion qu’il pensait mort pour le rappeler à sa royale destinée. Dans le film original, c’est un simple nuage de poussière qui partait du jeune lion pour annoncer au mandrill qu’il était toujours en vie. Ce changement est emblématique d’une croyance du cinéma numérique en la matérialité de ces corps sans entrailles mais dont la surface semble pourtant plus vivante que jamais. Le volume et la profondeur, absents d’un premier film fait de superpositions de couches dessinées, viennent ici donner une substance nouvelle à l’animal pour réactualiser la hantise de sa dévoration. Il faut pour le voir passer outre le photoréalisme du film : l’essentiel est ailleurs, ou plutôt en dessous. Il est par exemple dit que les hyènes n’ont jamais le ventre plein, tandis que Timon et Pumbaa ouvrent plus tard la souche des arbres pour dévorer les insectes qui grouillent dans cette végétation dévorée de l’intérieur. Quant à Scar, il apparaît pour la première fois alors qu’il est sur le point de manger une souris et menace Zazu d’en faire son déjeuner. C’est là où réside toute la beauté mortifère du film, à l’heure de la disparition massive des espèces animales : si l’on n’en voit jamais directement la chair, les figures numériques du Roi Lion n’ont de cesse d’être rattachées à leur intériorité organique et à l’imminence de leur finitude. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’elles soient souvent entourées de particules poussiéreuses ou de points lumineux en suspension dans l’air (de la cendre aux lucioles, qui flottent en 3D entre l’animal et le spectateur), tant l’éventualité de leur mort prochaine sous-tend le film. Le « Circle of Life » utopiste, promis par le thème principal et rendu possible par l’absence de l’homme au sein de cette nature luxuriante, se voit en ce sens chargé d’une dimension résolument tragique. Il faut désormais envisager l’animation numérique comme un outil de figuration permettant de mettre en scène le non-humain face au vide qu’il pourrait bientôt laisser derrière lui. Le Roi Lion est ainsi hanté par une terrible hypothèse : une fois le « cercle de vie » définitivement rompu, le règne animal ne pourra perdurer qu’en images.