Qui d’autre qu’Antoine de Baecque, ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, biographe de Truffaut et de Godard, pouvait s’atteler à un travail documentaire sur l’amitié qui unissait les deux figures de proue de la Nouvelle Vague ? Derrière ce postulat étrange se cache un travail d’archiviste assez scolaire, composé à la fois d’images multi-diffusées et de quelques perles rares qui raviront les cinéphiles.
Godard versus Truffaut, débat éternel de fin de soirée pour cinéphiles acharnés, c’est un peu comme les Rolling Stones face aux Beatles, chacun a sa préférence. Deux de la vague choisit d’embrasser leur histoire commune dans un même mouvement : ascension, plénitude, divergences. L’ascension, ce sont les 400 Coups primés à Cannes, pendant que Godard reprend un scénario de Truffaut pour en faire À bout de souffle. La plénitude se situe entre Pierrot le fou et La Nuit américaine (film qui marquera le début de leur discorde), avec cette détermination commune affichée durant l’affaire Henri Langlois, ou en conférence de presse pour faire annuler le festival de Cannes en mai 1968. Par la suite, ils poursuivront deux voies différentes : revisiter le classicisme à la française pour Truffaut, l’engagement politique pour Godard. La première vertu de ce documentaire est de replacer ces deux hommes dans le contexte des époques qu’ils ont connues et traversées, depuis la perspective de leurs origines sociales. Au passage, on grappille ici et là quelques beaux morceaux, notamment la réaction des spectateurs à la sortie d’À bout de souffle, rappel utile qui montre à quel point les deux réalisateurs ont bâti leurs débuts en réponse à une société conservatrice.
Mais, à l’image du résumé des étapes de leur relation qui vous a été proposé plus haut, l’évocation du duo est menée de manière simpliste (images d’archive qui se répondent, voix off dirigiste illustrée par des plans de machine à écrire…), et cherche à les ramener à une image archétypale, qui est depuis bien longtemps ancrée dans l’inconscient collectif : Truffaut en bon samaritain du cinéma (une fois passés ses coups de gueule aux Cahiers), et Godard en rebelle révolutionnaire. Le film va ainsi travailler ces deux motifs pour justifier leur brutale dispute, sans réussir à creuser plus loin, au même titre qu’il enjolivait leur attachement né dans les ciné-clubs d’après-guerre. Et ce qui devait être un film sur une étrange amitié, finalement assez méconnue, devient vite un cours d’histoire, pas désagréable, sur les Cahiers du cinéma, ses « jeunes turcs », ou encore l’affaire Henri Langlois. Plutôt dispensable pour le cinéphile averti, le récit se place clairement dans le champ de la transmission d’une histoire (et d’une époque) à un public plus large, ce qui est tout à son honneur, même si l’argument de départ du film s’en trouve alors floué.
Belle idée que de faire transiter ce lien par Jean-Pierre Léaud, figure du fils dont les deux réalisateurs s’étaient partagé la garde au fil des années. Dommage qu’il faille alors redoubler cette piste en érigeant Isild Le Besco comme gardienne du temple de la transmission au temps présent, emploi d’autant plus dispensable que ces apparitions mutiques n’apportent rien au film, et que celle-ci ne revendique pas un lien fort avec cet héritage. L’outrage reste vraiment mineur, et se conforme correctement à la forme du récit : si l’on ne sent pas d’attaches réelles entre Le Besco et la Nouvelle Vague, le film ne cherche pas plus à répondre au silence que les deux réalisateurs se sont imposés l’un à l’autre pendant des années, et ce jusqu’à la mort de Truffaut. Il ne reste entre eux que la résilience du plan final des 400 Coups avec Antoine Doinel, seul face à l’océan de l’oubli, et qui regarde désespérément une caméra derrière laquelle tout maître d’œuvre a maintenant disparu.
PS : Pour ceux qui n’ont jamais eu la chance de découvrir Charlotte et son jules, court métrage réalisé par Godard en 1958, Deux de la vague vous en offre un extrait de rattrapage : on peut y voir un jeune premier nommé Jean-Paul Belmondo, dont la voix en postsynchronisation a été doublée par… Godard himself !