Dario Argento a ses années de gloire derrière lui, dit-on. Depuis Phenomena, c’est la pente descendante, chaque film accentuant la chute, assène-t-on, la moue de connaisseur vissée à la mâchoire, en hochant la tête. C’est vite enterrer l’auteur de Profondo Rosso, Suspiria ou Inferno, dont les récentes contributions à Masters of Horror (le flippant Jenifer et le moins inspiré mais amusant Pelts) sont tout à fait regardables. Certes, le reste de sa production n’est pas à la hauteur, et La Troisième Mère a fait beaucoup de mal aux amateurs du réalisateur. Mais fallait-il pour autant enterrer Argento à coups de pelle à l’annonce, il est vrai saugrenue, de son projet d’adapter Dracula en 3D ?
C’est aller un peu vite en besogne. Cet énième avatar de Dracula n’est pas si honteux, même si son gimmick 3D est, comme d’habitude, totalement inutile et laid. Avec un budget que l’on sent étriqué, Dario Argento construit une Transylvanie largement créée via l’informatique, pour une ambiance étrange, surexposée, sorte d’esthétique Hammer qu’on aurait reconstituée en plastique clinquant, du genre qui grince vivement quand on passe le doigt dessus. L’arrivée de Harker à la gare, notamment, fait peine à voir – pourtant, Argento sait s’amuser à explorer les rues des villes piémontaises où il a tourné, à mettre en valeur le gothique de leur architecture. L’endroit en lui-même possède une âme, que le réalisateur souligne plus encore grâce à une nouveauté dans le canon du célèbre comte vampirique : l’assentiment d’une partie de la population.
Car les sujets de Dracula connaissent bien leur seigneur, lui savent gré de ses largesses – et évitent soigneusement d’encourir sa colère. Pour ceux qui décident de renverser l’ordre établi : la mort, aussi graphique que peut se le permettre Argento – c’est à dire le temps de quelques plans violents, d’une gratuité fascinante, comme si le réalisateur s’accrochait aux souvenirs des excès de ses meilleurs gialli. Tout aussi gratuits sont les plans de nus, jetés en pâture aux spectateurs comme savaient le faire les faiseurs de l’époque bénie d’Eurociné : n’importe quoi, en somme, pour le plaisir immédiat de l’auditoire.
C’est donc avec étonnement qu’on assiste à l’éclosion de quelques parcelles de grâce : Rutger Hauer, manifestement venu cachetonner mais qui s’abstient de cabotiner dans le rôle de Van Helsing, Thomas Kretschmann qui compose un Dracula sobre, presque sévère, loin des outrances romantiques habituellement attachées au personnage, quelques relectures des personnages secondaires, dont une tentative intéressante concernant Renfield… Le paradoxe apparaît lorsque Dracula accueille Harker : évidemment, le jeune homme est attablé devant le dîner prodigué par le comte, et invite son hôte à le rejoindre. « Je ne mange… jamais le soir », lui répond celui-ci, parodiant le célèbre « je ne bois jamais… de vin ». Certes, la ligne sonne mal, mais l’intention transparaît de vouloir ravaler la façade de l’édifice vampirique. Hélas, peu de temps après, voilà les loups qui hurlent et, évidemment, Dracula se répand amoureusement sur ces « enfants de la nuit » pour la citation attendue.
C’est pourtant la sincérité de ces moments disparates, de ces idées, qui montre à quel point Argento a réfléchi son film, à quel point il s’y est, malgré ce qu’on pouvait penser, investi. Si, techniquement comme artistiquement, le rendez-vous est absolument manqué, jeter Dario Argento aux loups serait exagéré. Au moins le réalisateur semble-t-il encore entretenir le feu qui resplendissait en lui il y a… trente ans de cela. Là où il nous a donné un brasier, ne survivent aujourd’hui que quelques braises. Mais qu’on ne compte pas sur nous les éteindre d’un coup de botte négligent.