Jaume Collet-Serra, ancien réalisateur de spots publicitaires, s’était fait remarquer en 2005 avec La Maison de cire, slasher au scénario inepte sauvé par une relative modestie et quelques intéressantes trouvailles plastiques. Aucune de ces qualités ne vient hélas contrebalancer la bêtise et la banalité de l’intrigue de son nouveau film, qui débarque aujourd’hui en France auréolé d’un succès surprise aux États-Unis l’été dernier.
John et Vera Coleman sont de sympathiques trentenaires. Il est architecte, elle est pianiste ; ils n’ont aucun problème d’argent, et vivent dans une belle maison – isolée, comme le genre l’exige. Ils ont deux enfants au sourire Ultra-brite : un préado rebelle juste ce qu’il faut, et une petite sourde-muette mignonne comme tout. Mais ils sont quand même malheureux, parce que leur troisième enfant est mort, dans des circonstances bien sûr dramatiques. Alors ils adoptent Esther. Sauf que sous ses dehors d’adorable surdouée, Esther est méchante. Très méchante.
Le film joue essentiellement sur la thématique des enfants-meurtriers, qui fait florès depuis quelques années : Joshua, les remakes d’Halloween et de La Malédiction, et le récent The Children, sans parler de la dernière Palme d’or… À l’exception, bien sûr, de cette dernière, ces œuvres mettent en scène – et s’adressent à – des Occidentaux aisés, repliés sur leur petit univers douillet, qui ont désormais moins peur pour leurs enfants que de leurs enfants. Dans Esther, la menace vient certes de l’extérieur, mais elle prend l’apparence d’une petite orpheline a priori inoffensive, que la famille idéale accepte en son sein avec une générosité qui se retournera contre elle. Le film témoigne de la peur de ce qui vient d’ailleurs (Esther est d’origine estonienne), de ce qui étranger au cocon familial (le titre original signifie « Orpheline »), de ce qui est anormal : « Être différent n’est pas un péché, tu sais », explique la mère, avant de réaliser que les excentricités de sa fille adoptive constituent en réalité autant d’indices de sa folie meurtrière. Qu’on est loin de Carrie au bal du diable, où le « Mal » n’apparaissait pas par génération spontanée, mais se manifestait en réaction au carcan familial, religieux ou social !
Si Esther, co-produit par le jeune loup Leonardo DiCaprio et le vieux briscard Joel Silver, cherche à dépasser le cadre du film horrifique de série, c’est en s’appuyant sur une réalisation qui confond sophistication et froideur. L’image est léchée, la lumière soignée, mais le film est figé, comme inhabité. Les acteurs peinent à donner de la chair à leurs personnages-clichés : Vera Farmiga rejoue le même personnage de mère au bord de l’hystérie qu’elle campait déjà dans le plus intéressant Joshua ; quant à Peter Sarsgaard, il se contente de promener son air habituel de Droopy mal réveillé.
En matière de peur, Esther promet beaucoup plus (via une campagne d’affichage particulièrement laide et agressive) qu’il ne tient : passée une introduction assez gore qui le rend difficilement recommandable aux femmes enceintes, le film ne propose dans un premier temps qu’une longue succession de fausses alertes pour maintenir la tension pendant d’interminables scènes d’exposition. Les ficelles employées sont assez basiques, pour ne pas dire grossières : de brusques apparitions dans le cadre accompagnées d’explosions sonores (un visage surgit dans le miroir de la salle de bains ! ouf, ce n’était que le mari…). Au dixième « Bouh fais-moi peur ! », on se lasse. Et quand la vraie violence finit par s’installer, c’est suivant une logique tellement mécanique et prévisible qu’on peine à frissonner, le scénario se contentant de réciter son petit catéchisme de la paranoïa cinématographique. Si Esther parvient finalement à susciter le malaise, c’est en présentant une forme d’inceste inversé : c’est l’enfant qui manipule l’adulte en vue de coucher avec lui. L’explication finale tente certes de désamorcer cette idée malsaine – mais elle est tellement grotesque qu’elle ne fait que rajouter une bonne dose d’hypocrisie à l’inconséquence générale. Finalement, les affiches ont peut-être raison : Esther n’est pas loin d’être « le film le plus effrayant de l’année ».