En quelques films, Sophie Letourneur s’est imposée comme la principale voire la seule représentante du chick flick à la française : taulière d’un cinéma féminin drôle et nerveux, parti de la chipie (Manue Bolonaise) et qui, en vieillissant, se rapproche irrémédiablement de la cigogne – mais qui, tous âges confondus, reste piloté par une certaine idée de la « célibattante », maquillée à la va-vite, courant après sa vie en talons hauts et collants filés. Cette éternelle chieuse est devenue l’animal comique de prédilection de la réalisatrice, ainsi (il faut bien le dire) qu’un véritable sujet ethnographique : partout où elle traîne ses leggings, Letourneur la suit comme on filme une meute. Elle vadrouille en bande, croque les hommes, mange des cochonneries, fume et picole – mais où nous emmène-t-elle vraiment ?
La formule (une école buissonnière au goût de tabac froid), en effet, risque fort de tourner en rond, c’est pourquoi on sait gré à la cinéaste d’avoir, avec Gaby Baby Doll, fait disparaître la bande, pour livrer sa célibattante à elle-même. En ermitage champêtre, le film suit Gaby (Lolita Chammah), en séjour à la campagne sur les conseils de son médecin. Sauf que la jeune femme est atteinte d’une dépendance maladive à la compagnie humaine, et va donc coller aux baskets de son voisin (Benjamin Biolay), lui plutôt solitaire justement, voire tout à fait maussade. Peu à peu ils se lient, au rythme des promenades de jour et de nuit, de la maison au château, du champ à la boulangerie, du bar à la cabane, avec cette idée très burlesque de la répétitivité des décors et des plans. Gaby creuse donc deux filons chers à Letourneur : l’addiction au clan, comme on vient de le dire, et la tendance crado, poussée ici jusqu’à un comique de l’écœurement (les Chocapic au lit et à même la boîte entre deux balades dans la gadoue).
Rose bonbon, petites taches de terre
On reconnaîtra au film sa vive cadence comique. Il faut aller chercher sa source dans les expérimentations sonores passées de Letourneur. Jusqu’à Gaby, la réalisatrice avait bricolé un système de plus en plus encombrant, à savoir une nouvelle machine son-image basée sur une post-synchronisation qui oscillait entre le doublage et le commentaire audio, apposée tant bien que mal sur les rushes. En un mot comme en mille : cette invention farfelue pédalait franchement dans la semoule. C’est non seulement une bonne idée de l’avoir abandonnée, mais c’en est une encore meilleure que d’en avoir gardé les bons stigmates : une empreinte rythmique qui coupe tranchant, au milieu des actions, parfois des phrases, et laisse toujours le sentiment d’un film monté comme du muet, où la parole est à l’arrière-plan, accessoire, jetable, et où tout se joue dans la fixité toute simple des décors, le désordre des mouvements qui s’y actionnent. La séquence d’introduction avec l’installation dans la maison – grand charivari de matelas et de sacs de voyage – en est certainement le meilleur exemple.
Reste encore que pour la première fois, Sophie Letourneur semble assez déboussolée de ne pas avoir de collectif à filmer (même s’il ne s’agissait que d’un tandem, ça irait déjà mieux) ; c’est-à-dire tout au tant à côté de ses pompes que sa Gaby, qui devient folle quand on la laisse seule. Pour avancer, le film s’invente un volet « initiatique » auquel il n’a pas l’air de croire une seule seconde – une variation sur La Belle et la Bête, version ploucs –, mais ne déploie vraiment son sens du rythme et sa fibre comique que quand il fait du surplace : les séquences de groupe qui ouvrent le film, celles du bar, avec sa clientèle de doux benêts, certaines scénettes burlesques entre Chammah et Biolay. Rose bonbon, petites taches de terre, la robe du cinéma Letourneur n’a pas changé de couleur mais elle s’inquiète bien d’une chose : est-ce que sa population de trentenairettes chieuses ne commence pas à sentir le vieux ? Peut-être que oui, mais peut-être aussi que ça ne lui fera que du bien, à une condition : ne pas charger la mule en essayant de leur faire jouer des contes de petites filles.