Matt Aselton espère sans doute, avec sa comédie romantique Gigantic, susciter le même enthousiasme que Marc Webb avec (500) jours ensemble. Pas de chance. Loin d’être original, Gigantic reste un copié (presque collé) de ce renouvellement du genre, qui à force de privilégier les anti-héros et les scénarios doucement loufoques, a tendance à les uniformiser. Exit les héros beaux, forts et courageux, place aux faibles et gringalets ayant pour carte maîtresse un humour grinçant. Du Woody Allen sans Woody Allen. Une comédie sans rien du tout, hormis Paul Dano aux fourneaux, baragouinant quelques mots en français.
Paraîtrait-il qu’en période de crise, la fréquentation des salles augmente. La preuve : 200 millions d’entrées en 2009, du jamais vu depuis près de trente ans. Le cinéma semble ne pas être victime de la crise, surtout parce qu’il en profite. Son atout ? L’action (Avatar, Arthur et la vengeance de Maltazard), l’amour (Pas si simple, La Proposition), l’enfance (Alvin et les Chipmunks 2, Le Drôle de Noël de Scrooge) et les comédies en tout genre, dont celle-ci, Gigantic.
La comédie romantique cherche à conquérir un nouveau public, avec de nouveaux acteurs tout en s’adaptant aux nouveaux modes de vie. Au diable le prince amoureux d’une pauvre jeune fille (Le Prince et moi, Martha Coolidge), le chef d’entreprise épris de sa secrétaire (Le Journal de Bridget Jones, Sharon Maguire), (presque) fini les réadaptions d’un énième opus de Jane Austen (Orgueil et Préjugés, Joe Wright), désormais il faut tenir compte de la crise économique, affective, immobilière, environnementale et de tous ce qui secoue le monde actuel. En somme, vivre dans l’air du temps.
Nulle question d’aborder les sujets qui fâchent (sans-papiers, chômage, etc.), le cinéma se transforme en échappatoire à la crise où chacun vient, assis sur son siège, purger ses passions, à travers la vie des autres. Aucun mal à cela, mais si catharsis il y a, autant la vivre avec grandeur et pas avec Matt Aselton. Ou alors juste parce qu’il y a Paul Dano, éblouissant dans There Will Be Blood, adolescent tourmenté dans Little Miss Sunshine et The Ballad of Jack and Rose. Acteur prometteur, il est aussi le producteur de ce film, Gigantic. Sa première entrée dans le monde de la production, avec un film dont on n’attend rien, déçoit. Quelle mouche a piqué Paul Dano ? Un besoin de se divertir ? S’éloigner des rôles sombres ? Curiosité ? Argent ?
Qui veut du divertissement saura se satisfaire de Gigantic. Les ingrédients sont là pour plaire au plus grand nombre, avec des personnages attachants, simples et des situations cocasses. Néanmoins, il n’est pas question de développer en détail la relation des personnages entre eux, ni l’histoire familiale de chacun. Mystère. Matt Aselton n’aime pas les longs discours. Il sème des indices, une tête de mort par là, un agresseur par ici, de l’eau un peu partout et puis tout cela s’envole et ne reviendra plus, sans aucune explication.
Emblème de la crise, l’anti-héros revient à la mode. Celui-ci, Brian Weathersby (Paul Dano), vend des matelas de luxe et espère un jour adopter une enfant chinois. Il a pour confident un biologiste dont les analyses cherchent à démontrer les réactions des rats en milieu aquatique. Il en découle une théorie : nage ou crève. Étrange coïncidence, notre héros est sans cesse poursuivi par un clochard prêt à le tuer à chaque moment heureux. Première intrigue : qui est cet homme et parviendra t‑il à abattre notre héros ?
Brian rencontre une fille étrange, endormi sur un matelas de son magasin. Harriet Lolly (Zooey Deschanel), petite fille de riches parents divorcés, tête en l’air, la frange sur les yeux, vit avec son père, travaille avec sa sœur mais ne sait pas bien quoi faire de sa vie. Tant mieux, Brian sait. Il veut adopter. Sa brève maturité d’esprit contraste avec l’ingénue (mais jolie) Harriet. Tous deux devaient se rencontrer et confronter leurs opinions, leurs familles, leurs désirs amoureux. L’un recherche la vie de famille. L’autre, une personnalité. Ils se ressemblent : une mère absente, un père excentrique, une famille bourgeoise, une maladresse commune. Matt Aselton créait des héros aux caractères complémentaires tout en laissant un doute sur la nature de cette relation. Malgré les centres d’intérêts divergents, peuvent-ils vivre ensemble ? Troisième énigme après celle du premier baiser.
Les bizarreries des personnages évitent de s’ennuyer. Il y a de l’action : Brian se bat contre son double (on ne saura rien de lui, le réalisateur aime les mystères – encore – et le surréalisme). Il y a du sexe (dans une voiture, comme dans Titanic de James Cameron). Des dîners piquants avec la belle famille déjantée d’Harriet (preuve que la timidité n’empêche pas d’avoir de la répartie). Harriet nue. Paul aussi. Une piscine (on s’y baigne la nuit, romantique). Une balade en forêt pour la cueillette des champignons. De l’humour (aussi grinçant qu’une craie glissant sur un tableau). Et du cynisme pour enrichir un scénario bringuebalant.
Dans ce tableau de clichés (cachés derrière soi-disant une comédie indépendante), Paul Dano, pareil à lui même, longiligne, physique atypique, l’air naïf, joue le rôle d’un grand timide aux rêves étranges, possède toutes les cartes en jeu pour conquérir la belle Zooey Deschanel, qui n’a malheureusement qu’une carte dans son jeu : toujours des rôles de femmes excentriques, menant d’obscures pratiques (que ce soit dans (500) jours ensemble ou Yes Man, ses derniers rôles ne lui donnent pas l’occasion de jouer autre chose qu’une jeune femme délurée, mystérieuse pour certains, ennuyeuse pour d’autres). L’un comme l’autre a les moyens de s’accomplir dans d’autres types de films. Il serait dommage qu’ils s’enlisent dans des rôles à la caricature facile au risque pour le spectateur d’oublier leurs vrais talents.