Woodstock a quarante ans… Hollywood se devait donc de produire un hommage au festival des fanatiques de fleurs et de substances illicites qui accueillit en son temps rien de plus, rien de moins que Janis Joplin, Jimi Hendrix ou Joan Baez. Hôtel Woodstock, s’il ne parvient pas toujours à sortir de la naïveté pure et un brin lénifiante d’un contexte plus intéressant qu’il n’y paraît, réussit à transmettre sa tendresse pour une génération paumée entre le Vietnam et les guitares électriques.
Ang Lee est décidément plus fort pour les petites histoires que pour les grandes. Choisissant depuis quelques temps des contextes systématiquement homériques, Ang Lee s’était fourvoyé avec Lust, Caution, dans la production de grande ampleur dont la mécanique trop puissante empêchait toute émotion d’exploser. Plus modeste ici, Ang Lee délaisse la guerre elle-même pour s’atteler à la peinture d’une génération qui a eu la sienne, ne s’en remet pas, et tente assez vainement de trouver un sens culturel (et faiblement politique) à son propre développement. Effectivement, Ang Lee paraît davantage concerné lorsqu’il se penche sur ses personnages, parfois au détriment d’une ambiance réelle, d’une métaphore de l’époque recréée sans forcer dans la reconstitution. On peut, de fait, lui reprocher une certaine légèreté -qui n’est pas désagréable scénaristiquement- à ancrer son histoire et ses êtres dans le contexte politique de Woodstock : ainsi est-ce avant tout les tribulations intimes d’Elliot, fils de propriétaires d’un motel en faillite qui va faire fortune grâce au concert. De même, ce sont les troubles de Billy, ancien du Vietnam, qui intéressent Ang Lee plus que le mouvement d’une génération aux revendications incertaines, naïves pour certains, trop floues pour d’autres.
L’histoire par le petit bout de la lorgnette, c’est la bonne idée du réalisateur d’Hôtel Woodstock. Le principal écueil de ce choix, dans lequel Ang Lee tombe parfois, est l’impossibilité d’évacuer absolument toute forme de retour au temps, toute réflexion sur un temps passé et, consécutivement, la tendance à plaquer une chanson de Joplin par-ci, une référence à Nixon ou au Têt par-là. Au lieu de fondre une collectivité dans une époque, la sensation lourde de la reconstitution pèse parfois. C’est pourtant dans la fantaisie légère qu’Ang Lee excelle : Elliot découvre son homosexualité -thème récurrent dans la filmographie de Lee- sans que cela ne fasse objet de débat ou de pesanteur scénaristique : laissant délibérément le mélodrame de Brokeback Mountain pour la comédie de mœurs, il traite des différents sujets avec une candeur, une tendresse qui donne au film une représentation émouvante de cette génération d’entre-deux vilipendée de nos jours pour ses rêves un peu fous. Les couleurs sont là, les petits portraits d’une Amérique profonde peu encline à la folie d’un concert de rock gratuit aussi. Et c’est finalement cela qui frappe le plus dans Hôtel Woodstock : une mélancolie douce d’espoirs aussitôt anéantis, une mélopée charmante revendiquant son absence de distanciation. Quelques fleurs, juste pour le plaisir, même un plaisir sans lendemain.