La sortie en salle de Je sens le beat qui monte en moi de Yann Le Quellec fait suite à celle des courts-métrages de Sophie Letourneur (Le Marin masqué), Guillaume Brac (Le Naufragé et Un monde sans femmes) et Vincent Macaigne (Ce qu’il restera de nous). Belle série en cours.
Belle femme plantureuse vêtue d’un rouge passionné hispanique, Rosalba (Rosalba Torres Guerrero) a un léger problème : lorsque que le moindre beat lui parvient, son corps devient comme possédé, entraîné dans d’invraisemblables contorsions. On a connu plus pratique, et tout ceci ne lui rend pas la vie facile, notamment d’un point de vue professionnel pour cette guide touristique. Et sentimental : son collègue Alain (Serge Bozon, superbe ensemble seyant couleur bleu de travail) lui plaît bien, et réciproquement. Notons que ce chauffeur de bus touristique est mélomane, dispose d’un jeu de jambe tout à fait correct et pratique la flûte à bec à ses heures perdues. Ce dernier élément (ainsi que la couleur de l’accoutrement de ce personnage masculin) peut faire penser que Yann Le Quellec tire – la scène finale enfonçant le clou – cette histoire farfelue de possession musicale de La Flûte à six Schtroumpfs (1960), bande dessinée de Peyo.
Un côté « bout de ficelle » affleure parfois, mais Yann Le Quellec fait avant tout preuve d’une conviction et d’une précision indéniables dans sa relecture assez vintage d’un burlesque teinté de comédie musicale – le code couleur pop et « pétant » des vêtements nous conduit tout droit vers Jacques Demy, même s’il n’y avait pas ici les moyens de repeindre Poitiers comme ce fut le cas pour certaines façades de Cherbourg. Si l’on n’hésite pas à servir quelques louches de potache (l’un et l’autre travaillent pour « l’agence touriste » ; on ose le « t’as de beaux œufs tu sais »), ceci prend place dans une mise en scène convoquant Jacques Tati du fait de la belle rigueur graphique au service du gag. Quant au traitement par l’absurde du tourisme, c’est l’esprit de Luc Moullet qui souffle sur le film, particulièrement lorsqu’il est question de piteux jets d’eau rappelant les inénarrables aménagements urbains méchamment autopsiés dans le génial Foix (1994). Au-delà des citations, on apprécie la fantaisie qui préside à ce film, à des détails inventifs, élégants et touchants ; par exemple lorsque Rosalba, sortant d’une session involontaire de danse endiablée, voit son prétendant ôter de sa petite besace bleue électrique un joli mouchoir rouge afin qu’elle puisse s’éponger le front.
Je sens le beat qui monte en moi narre donc le rapprochement malaisé mais inéluctable entre ces deux corps et couleurs : le rouge (elle) et le bleu (lui). Et c’est évidemment par la danse que tout ceci va advenir, du moins par le langage du corps et de la musique. L’un des arguments du film réside en la présence de Rosalba Torres Guerrero, danseuse (notamment pour Anne Teresa De Keersmaeker) et chorégraphe. Elle déploie une corporalité impressionnante faisant se rencontrer la grâce et le désordre sur un fil tendu et ténu. Et comme si les gammes de mouvements, ondulations, soubresauts de la tête aux pieds en passant par les jambes et le tronc ne suffisaient pas, elle affiche également un faciès étonnamment mobile, et comique. On pourrait considérer Je sens le beat qui monte en moi comme un exercice de style un peu vain s’il ne formulait pas combien le corps peut être un champ de bataille, au sein duquel les désirs cognent fort, venant contredire le paraître et la volonté de contrôle. Sous sa légèreté apparente, le burlesque, utilisé à bon escient, a toujours des choses très émouvantes et sérieuses à nous transmettre.