Premier court métrage présenté, Un dimanche matin ne raconte rien d’autre que la promenade matinale d’un homme et de son chien à travers une ville de proche banlieue. Muet, très risqué, le film de Damien Manivel suit un mystérieux aller-retour, qui reste une énigme mais dont la complétude ne fait aucun doute. Comme un Arriéré bradburyen, l’homme au chien visite les extérieurs déserts d’une zone urbaine dont les quelques palpitations intérieures – un anniversaire, une dispute – suffisent à habiter ces dix-huit minutes de déambulation pleines d’actions. Nous ne sommes ni dans le plan-séquence tableau façon Tati, ni introduits dans l’intime de ce couple homme-animal : la distance choisie est puissamment juste, d’une certaine largesse à un modeste resserrement, sans agression. N’importe qui aurait fait de ce sujet une errance aléatoire ; Manivel, très volontaire, insinue une trajectoire, un axe, une mystérieuse cohérence qui insuffle à ce tour de cercle le sentiment d’un périple fini, d’un retour à Ithaque : il s’achève simplement sur eux, assis dans l’herbe, exténués par un bref footing final, comme revenus d’une aventure. Il faudrait le revoir, mais il y a là de toute évidence un puissant geste de cinéma.

Le ton est donné par ce premier film projeté : la sélection navigue dans un doux hors normes. Certains films verseront dans un radical poseur : comme le clip chic et toc de Nous ne serons plus jamais seuls, ou l’interminable Dossier 332 qui, à la croisée des paysages pyrénéens et de la lecture d’un dossier médico-social, manque cruellement de perspective, d’intervention, de regard de biais. Mais si ce n’est pour quelques errances de ce type, les courts programmés développent une riche diversité, un goût prononcé de l’exploration, sans ostentation ni excentricité vulgaire. Même quand ils ont des qualités, les films plus académiques font chou blanc au milieu de cette sélection dont le pluralisme et le dépaysement ouvrent considérablement nos attentes. C’est face à cette foisonnante fresque que butent des propositions pourtant respectables, telles que Marseille la nuit, dont la chronique sociale, déjà vue, parfois cabotine, souvent maladroite, n’est pourtant pas sans justesse. Des chroniques, il y en aura d’autres, réalistes elles aussi, plus légères souvent : Bagni 66, pas inintéressant mais mis à l’amende par l’échec de ses ambitions picturales passagères, et même Fais croquer, récompensé du prix spécial du jury, qui souffre d’un certain déjà-vu dans sa peinture de la banlieue, si ce n’est pour son saisissant final.
Ce double mouvement, entre attraction et révulsion, parcourt d’autres films. American Football agace autant qu’il séduit, voire un peu plus. Morgan Simon manque de distanciation avec le milieu hardcore post-adolescent foncièrement snob qu’il décrit, comme s’il y adhérait lui-même (et c’est certainement le cas). Les louvoiements infantiles de ce couple assez détestable gardent étonnamment un certain pouvoir de séduction, sûrement grâce à la justesse du jeu et des dialogues. Leur flirt suscite une adhésion coupable, un plaisir doux à la Safdie. On reste quand même sur un relatif rejet, et également sur une frustration quant à l’absence de la violence pourtant inhérente au milieu punk, à la fois professionnalisée et intime ; on l’entrevoit dans une belle introduction en suspens sur le personnage en train de chanter a capella, mais jamais après. Dommage. Attraction et révulsion, toujours, dans La Bifle, qui dépasse de quelques enjambées sa seule réputation d’objet vulgaire et pop, fétichisé de festival en festival. Sur le papier sont réunis tous les ingrédients de la pire espèce du court métrage, à savoir le film de potes : idées fixes incongrues confinant à la private joke, ravin de la référence bis, vulgarité sans garde-fou. Pourtant, cet avatar français de Soyez sympas rembobinez (le vidéoclub, le barbu pataud, le noir débrouille) parvient à être réellement drôle, et même malin. La sommaire affaire de virilité en berne qui se joue dans cette histoire de taille qui compte n’est pas complètement truquée, et trouve une résonance.

Cette surprise presque miraculeuse, partie des bas-fonds pour se construire une honnête réussite, contient une réelle intelligence comique – réellement intelligent, réellement comique. C’est trop rare pour être ignoré : on a franchement ri dans cette sélection. L’humour n’y est ni une posture (le genre, la blague obligatoire), ni une formalité (l’intention comique identifiée mais inefficace) : on rit au milieu de films graves, au répertoire varié. Vilaine fille mauvais garçon, pris dans la déroute bancale et éthylique d’un flirt bringuebalant, mélange avec finesse le dur et le doux, et ne se trahit pas pour autant dans ces changements de registre. C’est un des plus beaux films de cette sélection, emporté par la mélancolie rieuse et hors-normes de ses deux comédiens, Thomas Lévy-Lasne et Laetitia Dosch.

La qualité d’interprétation semble d’ailleurs avoir été un des points focaux de la programmation, ponctuée de films moyens voire mauvais, sensiblement tirés vers le haut par leur distribution (La Bifle, encore, mais aussi Home Run par exemple). S’il est souvent inopportun d’appréhender les films en festivals à l’aune des récurrences (motifs, thématiques…) de la programmation, toujours est-il que la rencontre de préoccupations voisines permet de faire dialoguer les œuvres. Difficile ici de ne pas remarquer à quel point la question de la transmission filiale, et même d’une certaine forme de malédiction familiale, a irrigué la sélection – et en particulier ses plus belles propositions. Tennis Elbow, malgré son aspect visuel très rebutant, a non seulement été un des moments les plus drôles du festival, mais aussi une allégorie inspirée sur la paternité et la vieillesse. On a également apprécié le fructueux dispositif de Footing : faire dialoguer un père et son fils (mais ce pourrait être tout à fait autre chose) lors d’un jogging dominical : la discussion, chahutée par la fatigue, la brièveté des phrases, l’ébranlement physique, travaille sur des plaies ouvertes ; pour autant le film a soin de rester à distance, de ne pas chercher à « tout régler » entre ce père taiseux et son fils homosexuel, de s’en tenir à l’évocation. Le Monde à l’envers travaille entre une mère (prix d’interprétation à Myriam Boyer, qui nous rappelle la Christine que nous récompensions il y a quelques mois) et son fils (Vincent Macaigne, qui commence à tourner en rond), autour d’une sorte d’impasse de l’émancipation professionnelle, où l’homosexualité est, là aussi, présente, mais singulièrement cachée.
Le Banquet de la concubine est certainement la plus belle pièce d’animation de la sélection vendômoise. Il ne parvient certes pas à sortir de cette case qui, en festival, reste désespérément une marge : exclusivement envisagé à l’aune du formalisme, le genre se referme sur son intérieur. Malgré ce sectarisme un peu victime de lui-même, le film de Hefang Wei reste un bijou d’érotisme plein d’ivresse, de rondeurs veloutées et d’inventions. En comparaison, la radicalité symbolique et cryptée de The Great Rabbit, ou les mignardises de Kali le petit vampire et Edmond était un âne nous ont laissés de marbre, même si l’on a pu apprécier la juste tenue formelle de tous ces courts d’animation riches en matière, tout en élégance crayonnée.

Bercé par le spectre burlesque et bariolé d’Abel et Gordon, Je sens le beat qui monte en moi trouve de vrais moments de grâce, mais son choix d’une esthétique de la caricature sur-lisible le prive d’ouvertures. La rigueur (certes teintée d’ironie) de l’écriture et du cadre le gadgétise un peu. Probablement le film le plus attendu du festival, il faut dire que nous l’attendions peut-être un peu trop au tournant : ne boudons donc pas outre mesure. Déjà évoqué ici à l’occasion de sa sortie en salles, le court de Yann Le Quellec reste une des meilleures propositions de la sélection, et à ce titre emporte la plupart des récompenses (dont le grand prix). On peut trouver à ce palmarès un certain manque d’audace : déjà sorti en salles, encensé en festivals, Je sens le beat qui monte en moi aurait pu ici céder la place à des films plus émergents tels que Un dimanche matin ou Vilaine fille mauvais garçon. Admettons-le, mais la fantaisie bien sentie de Le Quellec incarne probablement au mieux celle qui fait de Vendôme un si enthousiasmant festival.