À Manille, des bidonvilles aux quartiers bourgeois, on suit la dernière journée du petit John John au sein de sa famille d’adoption transitoire, avant son accueil dans un foyer d’Occidentaux… Le réalisateur Brillante Mendoza déclare avoir été inspiré par un reportage télévisé sur l’ « adoption transitoire », pratique consistant à confier à des familles défavorisées – et rémunérées pour ce travail – des enfants à adopter, dans l’attente de leur trouver des parents plus fortunés et plus aptes à subvenir à leurs besoins. Son film trahit bien cette inspiration-là, habité d’un souci prépondérant de retranscrire dans le détail une réalité pour le grand public. Le parcours, assez linéaire, de John John d’une famille à l’autre sera le prétexte à une exposition des démarches administratives, des institutions sociales et religieuses à l’œuvre dans l’adoption aux Philippines. Or John John peine à être autre chose que cela : un « film sur l’adoption », le traitement d’un sujet de société à l’usage des salles de cinéma, au détriment de toute autre perspective. Le titre-prénom même est trompeur : le petit garçon éponyme, pratiquement muet durant tout le film et qui n’a d’existence à l’écran que par son entourage, s’avère plus un personnage-prétexte qu’un véritable sujet.
Les premières minutes, où la caméra se fraie un chemin dans les bidonvilles, promettent pourtant une exploitation cinématographique plus inspirée du contexte social du récit. On y arpente le dédale d’allées étroites parcourues de câbles électriques sinueux, on y rencontre des habitants porteurs chacun d’une histoire, et surtout l’espace réduit aide à entrer dans l’intimité de l’entourage de John John, où les longues scènes promettent de soulever avec plus de force l’enjeu dramatique attendu : la séparation prochaine du tout-petit. À ce titre, certains passages où un des membres de la famille évolue seul et silencieux ont quelque chose d’intrigant : plans de solitude perturbant l’harmonie des activités familiales, semblant porter une masse de non-dits peut-être en rapport avec l’échéance d’un départ pas si bien vécu. Dommage que cet intérêt dramatique et sociologique s’étiole au fur et à mesure qu’on s’éloigne de ce berceau à la fois précaire et rassurant, qu’on découvre avec John John et sa mère le fonctionnement des agences d’adoption, le rôle bienveillant des communautés religieuses, et pour finir les hôtels de luxe où vivent des Occidentaux surprotégés, sans que cette fois le modeste dispositif de mise en scène de Mendoza (caméra portée, non-jeu apparent) enrichisse véritablement le regard.
Ce qu’il y a de plus regrettable avec l’aspect documentaire du film, c’est que non seulement l’intérêt de la part de réel qui y est montrée est assez limité, mais qu’il affecte même négativement l’intérêt dramatique de son récit familial. L’adoption est montrée comme un processus globalement bien rodé, mené d’un bout à l’autre par des personnes dévouées (tutrices, employées, bonnes sœurs), où tout le monde trouve le compte. Même si les « mères de passage » ont évidemment du mal à se séparer de leurs petits protégés après tant d’années de vie commune. De toutes les généralités édifiantes et peu révolutionnaires exposées, cette dernière est la plus dommageable au reste du film, car elle en étouffe, en le banalisant, le principal enjeu dramatique déjà bien attendu : le déchirement de la séparation d’une mère et d’un enfant condamné à ne jamais être le sien. Que reste-t-il alors à se mettre sous la dent ? Au mieux, la confrontation sous-jacente entre riches et défavorisés dans l’hôtel de luxe où s’achève le voyage. Le film y atteint son pic d’intensité dans une scène de désarroi de la mère face au confort moderne, mais le réalisateur se montre décidément moins inspiré sur ce terrain que dans les bidonvilles, et sa réflexion sur le profit tiré de ce marché de l’adoption dans un pays en voie de développement par des Occidentaux en mal d’enfants tourne court. Achevant de rendre John John pas désagréable, pas inintéressant, mais pas indispensable.