Sur le papier, la rencontre entre le réalisateur philippin Brillante Mendoza et l’actrice française Isabelle Huppert avait de quoi susciter la curiosité. Et le sujet (la prise d’otage de missionnaires par des miliciens musulmans), bien qu’un peu casse-gueule, laissait entrevoir un champ de possibles assez intéressant. Ajoutez à cela la présence d’une jungle luxuriante et hostile à travers un pays qui plonge peu à peu dans le chaos, et vous obtenez un projet pour le moins intrigant, mais qui pourtant ne prend que très ponctuellement son envol.
Le sentiment de pénibilité ressenti à la vision de Captive, même s’il ne doit pas forcément être pris pour argent comptant, traduit quelque chose de l’essence même de la captivité : l’impression d’un calvaire sans fin, d’une répétition des événements sans progression notable, alors que cet étrange convoi d’otages n’a pas d’autres choix que de se mouvoir indéfiniment à travers la jungle. Belle idée que de lancer le film sur les rails d’une épreuve sans cohérence, par le biais d’un récit elliptique qui vient renforcer l’impression d’une continuité sans raccords possibles. Mais le souci réaliste qui préside à la mise en scène de Mendoza (et qui le pousse, par exemple, à montrer un accouchement en gros plan alors qu’a lieu une fusillade dans l’hôpital), avec une caméra tenue à l’épaule et au plus près des personnages, ne réussit pas pour autant à donner vie à l’ensemble. Les personnages sont réduits au rang d’utilités narratives qui ont finalement pour principal but d’expliciter leur fonction (la missionnaire dévouée cherche à ramener un jeune milicien dans « le droit chemin », le chef des miliciens musulman pratiquant le mariage forcé, les infirmières prises en otage en soignantes impénitentes…), et de subir le joug imposé par un récit « tiré de faits réels ». L’obstacle religieux et la cohabitation problématique qu’il implique sont souvent relégués au second plan, et également réduits à des fonctions pures, servant ponctuellement à justifier d’un cas de conscience stéréotypé (par exemple, la question de l’enterrement d’une chrétienne morte en pleine jungle sert à montrer à quel point les coutumes des uns et des autres apparaissent comme irréconciliables). Le discours n’est donc clairement pas l’apanage de Mendoza, qui développe finalement tout ce qu’il peut y avoir de convenu et de maladroit lorsque l’on traite du « choc des cultures ».
Le réalisateur philippin ne manque pourtant pas de ressources, et réussit ici et là à toucher juste, notamment dans sa description obsessionnelle de la jungle, donnant à voir quelques images frappantes : ce sont des sangsues qui attaquent les otages, des scorpions ou bien un combat d’araignées qui hantent la vision du film. Reflets troublants d’une situation de guerre où les autorités n’hésitent pas à ouvrir le feu sur les miliciens et leurs otages, pour une plongée oppressante dans un pays qui semble au bord du gouffre, déchiré de toutes parts. C’est dans ces situations que le volontarisme de la mise en scène de Mendoza se fait le plus efficace, avec un pragmatisme bienvenu, qui le pousse notamment à décrire la difficulté de transporter une vingtaine d’otages dans la jungle tout en subvenant à leurs besoins primaires. Captive s’épanouit finalement plus concrètement lorsqu’il s’attaque au registre du survival pur et dur, même si la progression narrative reste indubitablement circonscrite au décompte des jours de captivité et la répétition indéfinie de la marche, installant progressivement une lassitude qui fait la sécheresse même du film.
Mais tout ceci en fait un projet pour le moins inabouti qui, à vouloir courir plusieurs lièvres à la fois, se retrouve lesté d’une psychologie de comptoir qui prive chaque situation du trouble de cette expérience extrême. Plus problématique encore, avec une fin de parcours qui vire à la bonne morale classique, tentant de relativiser les actes dans le but de donner une portée humaine à la barbarie. Ainsi, on découvre qu’il y a aussi de la douleur chez les miliciens, que leur sympathie n’est parfois pas totalement guidée par leurs intérêts, et l’on peine à voir quelle réflexion productive il peut sortir de telles lapalissades. Sur bien des aspects (guerre civile, une femme prise au piège d’un milieu hostile incarnée par Isabelle Huppert), Captive peut évoquer White Material de Claire Denis, mais il n’en possède malheureusement ni la puissance d’abstraction ni la charge onirique.