Ayant refermé la parenthèse infantile de Cars 2, le studio Pixar revient avec son marronnier estival, en forme de conte a priori traditionnel – c’est-à-dire, de prime abord, la chasse gardée du grand frère Disney. Le dynamique Pixar aurait-il donc été définitivement phagocyté par la firme aux grandes oreilles ? Non – une fois encore, Pixar parvient à étonner, plaçant son Rebelle à l’esthétique éblouissante, au ton subtil et mature loin des sentiers battus.
Ce qui est « Rebelle » pour nous est « Brave » pour les anglophones : une subtile polysémie échappe à la traduction – ce dont on parle ici c’est autant la rébellion que le courage, que la force d’affronter les choses. Au sein de ce titre lapidaire, réside tout ce qui fait le sel du nouveau Pixar : c’est, avant tout, ladite polysémie. En effet, à l’énoncé de l’intrigue, on placera volontiers Rebelle dans la catégorie double, symbiotique, du conte de fées et du récit initiatique, d’accession à l’âge adulte. Extrêmement codifié, le récit initiatique réclame, a priori, que chaque personnage corresponde à un archétype, à une donnée précise, symbolique, permettant la lecture analytique : c’est pourtant là que va bifurquer Rebelle. Son héroïne, Merida, va donc effleurer tour à tour tous les thèmes attendus : la révolte contre un ordre établi perçu comme injuste, les erreurs de jugement, les conséquences drastiques des choix qu’elle aura à faire… C’est pourtant en brisant les limites de son carcan narratif que Rebelle va voir naître, avec Merida, d’un personnage d’une richesse remarquable, d’une humanité inaccoutumée. On trouvait déjà dans les personnages principaux de Wall-E les prémices de cette ampleur narrative, et le merveilleux couple vedette du prologue de Là-haut confirmait cette attention portée par Pixar à la justesse de ses protagonistes.
Rebelle reste dans le canon graphique du studio, en stylisant son esthétique à l’extrême : cependant, la liberté visuelle offerte par l’animation doit se mettre au service du récit. L’univers de Rebelle renvoie à l’image fantasmée du monde celte : les tons froids, verts et bleus, dominent, tandis que la précision et la minutie du trait impressionnent. On pourrait craindre qu’une telle virtuosité signifie un réel déficit sur le plan du récit – à tort. Une attention toute particulière semble avoir été portée à la physionomie de Merida, de ses parents, de tous : mais il fallait avant tout donner corps, laisser transparaître les émotions complexes qui forment le cœur du récit. Ciseler le merveilleux, soit, mais jamais aux dépends de l’histoire.
Avec Rebelle, le studio Pixar semble donc poursuivre sur la voie d’une maturité nouvelle : cet attachement à une peinture non-manichéenne, non-simpliste des caractères place ceux-ci au centre de la narration. L’intrigue semble toujours plus n’être qu’un prétexte à la création de personnages fouillés, complexes, passionnants – tout le contraire d’un studio Disney qui, au vu de La Princesse et la Grenouille et de Raiponce, semble se moquer comme d’une guigne de rendre les siens crédibles. Les choix opérés par les trois réalisateurs de Rebelle sont d’autant plus intéressants que le récit se veut épique, grandiose, héroïque : une ampleur inaccoutumée pour Pixar. Rebelle témoigne de l’ambition de construire un récit féerique, aventureux, qui soit en même temps le portrait d’une relation entre une mère et sa fille dont l’intensité étonne. Une ambition louable, qui permet de donner naissance à des séquences merveilleuses comme à d’autres, à la sincérité moins évidente.
En somme, Rebelle retient certaines des scories narratives de Là-haut et de Wall-E : nous avons toujours affaire à une humanité bouleversante – la « scène de la pêche » pouvant presque rivaliser avec le prologue de Là-haut – légèrement atténuée par certains choix scénaristiques maladroits. Mais le progrès est notable, et, malgré ces quelques fautes, le film va subtilement, progressivement aller au-delà de son canevas préconçu de conte de fée celte, via sa foi inébranlable dans l’humanité de Merida et de ses autres protagonistes. Cette humanité touchante, crédible et profonde, habite le film de telle façon qu’il va finir par se dresser, sans que l’on s’en aperçoive, au-delà des genres, des clichés et des publics-cibles.