Louis « Tréport » n’est pas un marin mais c’est pourtant un homme, un vrai. Pour preuve, il sait parfaitement être un goujat avec son fils ou les filles du Jura, reluquer la poitrine affolante de Béatrice Dalle et tuer s’il le faut. Problème : à défaut d’un cœur (c’est l’histoire du film !), il n’a pas plus d’âme.
Louis Trebor vit reclus au fin fond des hauteurs jurassiennes. Il aime se baigner nu puis s’allonger, toujours dévêtu, avec ses deux chiens dans les bois. Il ne semble pas particulièrement aimer son fils unique, sa belle fille et ses petits-enfants. Décidé à reprendre la maîtrise de sa vie, il fait fi de la légalité et de l’attente incertaine pour payer au prix fort une greffe de cœur mafieuse.
Le film est inspiré d’un texte « philosophique » de Jean-Luc Nancy, qui expose sa vision de l’expérience de la greffe de cœur, quand le cœur d’un autre vous permet de vivre… On imagine aisément ce qu’a cru y voir Claire Denis de mutation, d’essence et d’étrangeté !!! Mais le Jura est sauvage, la Suisse argentée, la Corée moite et anarchique, la Polynésie accueillante et la Russie glacée et mortelle : autant de moments de vie caricaturaux de Louis Trebor qui nous laissent indifférents. Tout cela donne un ton faussement lyrique et tellurique pour un film vraisemblablement en panne d’inspiration, coincé entre un scénario discontinu qui lorgne maladroitement vers le romanesque de la grande lutte entre l’Homme et ses semblables, l’Homme et la Nature, l’Homme et la Bête. Claire Denis qui sut si bien peindre l’étrangeté du quotidien ne parvient pas à créer de l’étrange à l’étranger. L’invocation malheureuse, par voie de presse, du tournage maudit de Tabou de Murnau, des écrits de Stevenson et les extraits d’un film inachevé de Paul Gégauff intitulé Le Reflux ne permettent pas de combler les images insipides.
Trebor est un être solitaire et mauvais, dont la sensualité, chère à la réalisatrice, devient très vite vulgarité, vulgarité d’une existence vide et mortifère : vulgarité de l’argent, du sexe exutoire, de la solitude méprisante, de l’homme-pulsion et du meurtre gratuit.
Que ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de hurler aux loups et à l’imposture lors de sa diffusion sur Arte, s’éloignent de ce film désert et louent plutôt le dérangeant et intrigant Too Much Flesh, second film de la trilogie de Jean-Marc Barr, qui parvient à incarner la chair, la passion de la nature et l’étrangeté des communautés!