Très remarqué lors du dernier festival de Cannes, où il était présenté dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs, La Blessure est un film fleuve qui aborde frontalement la question tabou de l’immigration et des difficultés d’intégration. Sa résonance politique, ses partis pris de mise en scène, son propos et le regard porté par le réalisateur sur ses acteurs en font une œuvre impressionnante et incontournable.
La blessée, c’est elle, Blandine (Noëlla Mossaba). Noire, africaine, congolaise, et tout juste débarquée de l’avion sur le sol français pour retrouver son mari, Papi. Sa première vision du pays des Droits de l’Homme est celle de la zone d’attente de l’aéroport réservée aux demandeurs d’asile. Un espace froid, brut, insalubre et inhospitalier. Une zone de détention plus qu’une zone d’accueil. Une zone de non-droit dont l’accès est, aujourd’hui encore, interdit aux journalistes. Blessée à la jambe lors d’une tentative de retour forcé à l’avion par la police des frontières, elle est confrontée, impuissante, à la violence verbale et morale des autorités françaises. Niée, humiliée, méprisée comme tant d’autres demandeurs d’asile, elle se réfugie peu à peu dans son silence.
Car les blessés, ce sont aussi tous ceux-là. Ces hommes et ces femmes qui ont fui leur pays, ses violences et sa misère pour recommencer une nouvelle vie ailleurs, en France. Espérant trouver refuge, ils se heurtent violemment au mur de l’indifférence et, pire, du déni. Un rejet mécanique, forcément violent, mais inhumain parce que systématique. Sur ce plan, surtout, le film est sans appel. Le malaise grandit puis s’installe à la vue de ces policiers-robots qui exécutent des ordres imposés par les quotas en faisant abstraction de leur propre humanité. Tutoiement immédiat, ton brutal, intimidation, gestes brusques, ordres assénés comme des couperets « Déshabille-toi ! » et dans leurs yeux cette distance qui déshumanise Blandine et ses « compagnons ». Le tout filmé en plans fixes, parfois très serrés, sans musique ni pathos galvaudé. Nicolas Klotz travaille sur la durée. Et filme presque en temps réel toute cette première partie, si pénible et révoltante. Chaque plan fait sens. Le cadre, toujours fixe, précède les entrées et perdure au-delà des sorties de champ. Sa caméra reste toujours spectatrice, telle un témoin. Sans esbroufe inutile, il soigne l’image, varie les cadres et les effets de flous ou de reflets, et utilise à dessein le hors champ, processus pas si fréquent au cinéma.
Le réalisateur montre et suggère pour mieux dénoncer. Et rend en cela hommage au formidable travail d’enquête de la scénariste, Élisabeth Perceval. Un travail titanesque mais ô combien nécessaire pour aborder aussi frontalement la question des demandeurs d’asile. Pendant des mois, dans un souci évident de véracité, de justice à rendre et de parole à donner, elle a rencontré des dizaines d’entre eux, recueilli leur témoignage. D’où le soin quasi documentaire apporté au film, qui ne quitte pourtant jamais le domaine de la fiction. Les monologues en sont les points d’orgue. Et celui de Blandine particulièrement. Son visage filmé en gros plan, révélé par la lumière du jour qui filtre dans la pièce, elle raconte avec ses mots son arrivée à Roissy. Tout est là. Son regard perdu, sa détresse, le récit des insultes entendues « Avance tas de merde » , « Tu crèves chez toi pas ici » , de ce racisme latent « Rentre dans ta brousse de merde » et de son impuissance surtout: « On ne me croira pas. Je suis noire, ma parole ne vaut rien. »
Pourtant, La Blessure est avant tout l’histoire d’une renaissance. Celle de Blandine, justement, qui devient emblématique. Prostrée dans un squat parisien, blottie dans son mutisme, elle revient peu à peu à la vie sociale. Sa blessure, métaphore de son traumatisme, implique un temps de guérison. Nicolas Klotz filme ce lent processus de reconstruction, les gestes du quotidien, le premier sourire. Il ne cesse jamais de se placer du côté de ses personnages, captant leur pulsation sourde, cette présence majestueuse qui s’impose d’emblée comme une évidence. Pour la plupart non professionnels, voire témoins authentiques de ce que dénonce le film, ils irradient. Le réalisateur rend ainsi la parole à ceux qui, d’habitude, l’ont si peu. Et fait de son film une puissante œuvre réaliste, politique et d’une intensité sidérante.