Vous vous souvenez ? Il n’y a pas si longtemps, l’idée même du cinéma de synthèse suscitait sourcils levés et sourires entendus – c’était encore du « cinéma pour enfants ». Et pour cause ! L’un des tous premiers films à adopter cette forme, Toy Story, était un film sur les jouets… Quinze ans après, la forme est devenue pérenne et le nom de Pixar, l’un des plus profitables de l’industrie du cinéma. Après des projets à la spontanéité moins évidente (Wall‑E, Là-Haut), le studio allait-il dévoyer sa saga emblématique ? Non – un « non » magistral.
Non content d’avoir attaché son nom propre à l’émergence et au succès d’un genre, Pixar fait également mentir l’axiome qui dit qu’une suite ne vaudra que très rarement son premier volet – à plus forte raison, une deuxième suite. Toy Story II, sorti quatre ans après le premier épisode, avait déjà placé la barre très haut. Qu’en est-il de ce volume III ? Comme ses spectateurs, Andy a grandi. Le petit garçon dont Buzz, le nouveau-jouet-à-la-mode, et Woody, l’ancien jouet fidèle, se disputaient l’affection, part à l’université. Cette fois, c’est le grand saut, et les jouets craignent d’être mis à la poubelle. Tandis que Woody, jouet définitivement préféré, reste avec Andy, les autres sont finalement donnés à une crèche. Mais, là-bas, tout n’est pas ce qu’il semble…
L’excellente idée des scénaristes des Toy Stories était d’avoir introduit un peu de darwinisme moral et social dans le monde apparemment mièvre des jouets. Nageant en pleine vision rousseauiste, il ne leur faut pas longtemps pour susciter l’extrapolation : si le contact avec les humains pervertit les jouets, au départ purs, faut-il en conclure que le contact avec l’adulte pervertit l’enfant, voire l’enfance ?
Pixar procède toujours selon la même dynamique narrative – l’âge d’or est toujours le royaume d’individus solitaires (Là-Haut, Wall‑E), ou insulaires (Ratatouille, Les Indestructibles, Nemo, Monstres et compagnie), en butte à un monde qui va s’imposer à eux pour les laisser changés, adaptés, mais rarement aussi sereins que lors de cet âge idéal qu’ils ont été forcés de quitter. Nulle part, cependant, les ravages de cette maturité, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, ne se font autant sentir que dans ce Toy Story III. Le conflit (dont nous ne dirons rien ici) qui, en apparence, sous-tend Toy Story III n’est rien en regard de l’opposition entre idéalisme, fidélité à l’enfance et compromission face à la réalité. À bien y regarder, il s’agit finalement d’opposer réel… et virtuel.
Après deux premiers épisodes, où l’accent était déjà mis sur une écriture précise et abondante des personnages, Toy Story III joue à la fois la carte de la familiarité et celle de la nostalgie. Un choix narratif effectué à bon escient et qui montre, si besoin en était encore, la capacité de Pixar à s’inscrire immédiatement dans la légende populaire moderne. Si les deux films précédents aident indéniablement, on ne peut, malgré tout, que s’émerveiller de l’aptitude des animateurs à susciter l’empathie pour leurs personnages – une empathie qui trouve, dans la seconde partie du film, une expression d’une justesse et d’une intensité peu commune.
Mieux qu’une suite digne de ses prédécesseurs, Toy Story III annonce le retour de Pixar à ses meilleures qualités narratives, propres à susciter l’émotion. Après deux films bancals (presque toute la beauté de Wall‑E était concentrée dans sa première partie, et Là-Haut sombrait dans une routine agréable mais creuse, une fois son splendide prologue passé), Pixar revient, avec Toy Story III, à une narration vive, bien pensée, prenante, et parfois bouleversante. Et, peut-être, cette fois, nous rouvre-t-il les portes de l’âge d’or…