Tom Cruise, affublé d’un cuir à la Top Gun, est criant de vérité dans le rôle d’un adolescent attardé qui s’émerveille du « feu d’artifices » du 4 juillet extra-terrestre ! Du coup, on a peine à le croire capable de sauver ses deux enfants. Ce Ray égoïste et infantile, miroir du héros à grand spectacle du XXIe siècle, est bien éloigné du savant méticuleux du roman de H.G. Wells traversant cette épreuve en solitaire.
La grande parabole du prologue montrant les microbes d’une goutte d’eau à la sphère flamboyante de la planète Mars, feu rouge de la galaxie, transpose ingénieusement en voix off le narrateur omniscient du livre. C’est une entrée tonitruante et inquiétante sur le sol de notre terre menacée. Pourtant, une fois l’effet des tripodes et de leurs faisceaux meurtriers passé, la transposition du roman à nos jours est tout sauf convaincante.
L’engouement du siècle pour l’image à travers l’appareil photographique, la caméra vidéo et l’équipe de télévision, est un clin d’œil réjouissant mais l’évocation maladroite du terrorisme mondial déçoit tout aussi rapidement…
Les deux enfants adjoints au héros du film sont très vite des fardeaux. La scène d’adieux entre le père irresponsable et son fils qui veut embrasser soudainement une carrière militaire est ridicule. L’attachement du père à sa petite fille empêche une véritable rencontre avec le personnage inquiétant de Tim Robbins. Ogilvy (Tim Robbins) est une maladroite fusion entre deux personnages que tout oppose dans le livre : le vicaire craintif et la « machine de survie » qu’est l’artilleur.
Steven Spielberg utilise de nombreux filtres et couleurs : le bleu glacé des bords de l’Hudson, le noir de la cave-prison, le rouge qui nourrit les plantes extra-terrestres et la clarté du jour menacée. Grand interprète des horreurs de la guerre (le trop méconnu L’Empire du soleil, La Liste de Schindler, Il faut sauver le soldat Ryan), le réalisateur évoque l’hécatombe humaine avec force : la rivière charriant les corps, la folie meurtrière de la foule en fuite, la fumée des corps carbonisés sur les visages, les vautours… Il parvient beaucoup moins bien à varier les craintes du spectateur, abusant des zooms arrière partant des regards horrifiés, des zooms avant qui annoncent la fuite et la panique, et enfin des contre-plongées et plongées incessantes sur nos héros et les foules successives qui les entourent. Le parcours du héros, véritable sensation physique pour le spectateur, n’est plus un cheminement intérieur. Oubliant la tentative de prise de contact pacifique avec les engins venus du ciel, Spielberg a transformé le savant égocentrique en soutien de famille. La leçon est moins grinçante que celle du livre fustigeant la folle épopée de la science et du progrès.
Sacrifiant Ray aux topoï des sentiments filiaux, le film noie l’odyssée individuelle du roman dans une course-poursuite ininterrompue face à de très très méchants extra-terrestres…