Le mois de novembre accueille en salle Le Bel été, dernier film du cinéaste Pierre Creton, deux ans après Va, toto. On retrouve la maison du cinéaste, à Vattetot-sur-Mer, en Normandie. Simon et Robert y habitent ensemble, ainsi que Nessim, rencontré dans la Jungle de Calais, avec lequel les deux hommes vivent une histoire d’amour. Les ont rejoints Amed et Mohammed, deux mineurs isolés également passés par les campements de Calais et mis en relation avec leurs hébergeurs par une association normande après le démantèlement de la Jungle. C’est l’été, la maison héberge aussi des amis, des voisins, des passagers. La maison et le film sont un refuge pour se protéger d’un monde sombre, percuté dès les premiers plans par une image inoubliable, celle d’un film ami, L’Héroïque Lande, La frontière brûle (2017) de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval. Une image qui rappelle un lieu trop proche, que le film va tenter de garder à distance.
Le récit, puisé dans le vécu du cinéaste, suit le fil d’une vie en collectivité au sein de la maison. Il travaille le temps distendu de l’été, conférant à l’ensemble un rythme fragmenté, par instants structuré par la voix off d’une narratrice passagère, qui permet à ces instants de vie de s’épanouir : le travail aux champs, les baignades, les promenades, les siestes, les attentes, les activités simples et ces temps de repos où chacun prend soin de l’autre. Ni fiction, ni documentaire, Le Bel été se laisse traverser par les instants vécus sans qu’il soit permis de déceler ce qui a été mis en scène ou saisi sur le vif de la vie à Vattetot. Le film va jusqu’à se raconter lui-même : des caméras apparaissent sur les vitres et les coins du cadre. C’est qu’il semble nécessaire d’enregistrer et de documenter cette vie qui se déroule déjà à l’écran pour rendre compte de ce temps partagé dans un film fabriqué ensemble. Si le film tient sur la simplicité d’un temps doux, il gagne toutefois en complexité avec l’apparition des tensions d’été qui viennent électriser les corps. D’un côté, avec l’adolescence innocente d’Amed, Mohamed et de Flora, les amours naissants suggérés et l’insouciance au bord de la mer. De l’autre, avec les complexités adultes, les relations plus problématiques mais sans gravité. Les désirs se mêlent, les corps sont liés. Les cadrages révèlent un travail du groupe, comme s’il fallait mettre en présence autant de silhouettes que possible dans le champ et, plus loin, dans la même maison. Le cinéaste joue sur les présences lointaines, le reflet des uns et des autres sur les vitres, ou encore sur les fenêtres ouvertes pour laisser toujours des corps apparaître. Une scène montre Sophie en train d’aider Amed à lire un texte, pendant qu’en arrière-plan, sur le canapé, Simon dort. Tandis que l’on trouve Amed, Mohamed et Flora sur un lit, on cueille Nessim, Robert et Simon au réveil. Mais le film trouve peut-être plus encore son équilibre dans les instants de solitude, avec ces plans sur les visages isolés, et dans ses échappées – notamment l’évasion de Sophie, la narratrice, qui fait l’objet d’une séquence à part entière. Pierre Creton ballade ainsi son regard entre tous et chacun, toujours porté par l’intime. Il interroge cette tentative de coexistence, sans fuir l’étrangeté de la situation ; il filme ceux qui sont là, maintenant la justesse recherchée dans cet abri fermé, protecteur, mais ouvert à tous les possibles.