Le Royaume des chats, sorti en 2002 dans le sillage du Voyage de Chihiro, est une œuvre médiocre, infantile et sans nuance, sorte de raté dans la trajectoire habituellement plus subtile du studio Ghibli, comme ont pu également l’être les Contes de Terremer en 2006. On aurait facilement enterrer ce Royaume, si ne sortait aujourd’hui chez nous, enfin, le film qui l’a inspiré : Si tu tends l’oreille. Pas exempt de ses propres naïvetés, le film de feu Yoshifumi Kondô (mort à 47 ans en 1998, trois ans après ce qui restera son seul long métrage) possède une délicatesse qui le rend tout à fait singulier.
Le Chat roi
Difficile pour Shizuku d’être la cadette de la famille : son père travaille, sa sœur suit des études, sa mère a repris les siennes, et elle doit participer à la vie de famille en menant sa scolarité à bien. Rien que de très normal, en somme, si ce n’est que la jeune fille, si ce n’est que la jeune fille passe, en même temps, par une période de fort questionnement intime, à l’aube de l’âge adulte. Des questions auxquelles un vieil antiquaire, son fils, et son élégante statue de chat en frac aideront à répondre.
Ce chat, c’est le Baron, objet privilégié de l’imagination de Shizuku – et star inattendue du film. Même s’il est en effet fort peu présent à l’écran, le personnage a joui, au moment de la sortie japonaise du film, d’une formidable popularité – à tel point que le projet du Royaume des chats a été mis en chantier pour y répondre, avec les résultats indiqués plus haut. Mais, à l’époque de Si tu tends l’oreille, il s’agit encore de suivre la jeune Shizuku pas à pas, de rendre compte de ses atermoiements adolescents. C’est une gageure narrative, mais les scénaristes Yoshifumi Kondô et Hayao Miyazaki s’en tirent avec brio : Si tu tends l’oreille réussit ainsi à pénétrer un moment de vie adolescente qui ne présente finalement aucune aspérité narrative à laquelle se raccrocher – juste un passage dans le temps à l’issue duquel les protagonistes auront évolué, mais qui ne présente ni intrigue, ni résolution.
Alice dans la ville
C’est qu’il y a tant de choses à faire, dans l’existence de la jeune fille ! Des livres à dévorer, des chansons à écrire, des devoirs à faire éventuellement, et ces corvées épouvantables auxquelles la condamnent l’autorité familiale – déposer le déjeuner de son père parce qu’elle passe sur son lieu de travail, disons. Faut-il s’étonner, dès lors, qu’elle saisisse la première occasion de quitter le chemin tracé devant elle, pour mettre ses pas dans les pattes d’un chat croisé dans un train : comme Alice suivant le lapin blanc, Shizuku se laisse guider par le gros chat méprisant. Yoshifumi Kondô joue de la géographie tokyoïte comme d’un labyrinthe : voies pentues, escaliers cachés, panoramas merveilleux cachés derrière d’anonymes façades urbaines… La ville, espace cadenassé et sans magie, ouvre des chemins de traverse pour la jeune fille – vers des visions émerveillées où la direction artistique de Yoshifumi Kondô déploie toute la délicatesse de son trait.
C’est ce qu’il lui faudra faire pour se trouver elle-même : choisir la voie cachée dans les routes tracées vers l’âge adulte et la responsabilité. Cette voie, ce sera l’écriture. Là encore, Yoshifumi Kondô louvoie, aborde son sujet par le côté, n’en donne à voir que de courts instants : on n’aura pas la primauté du roman – « pierre précieuse brute » – de Shizuku, et il appartient au vieil antiquaire qui en est le lecteur de nous dire ce qu’il en est. Dans sa manière parcellaire d’aborder son récit, sa façon d’accumuler les instants sans pour autant tenir à les lier avec une trame centrale, Yoshifumi Kondô touche à l’essence de l’adolescence, il donne vie à ses protagonistes. Que dire, alors, des derniers moments du film, où toute cette subtilité délicate semble oubliée, et où l’on plonge dans un mélodrame un rien benêt ? Ma foi, ce sont des ados, après tout – ne sont-ils pas à l’âge où l’on vit les choses avec une telle intensité ?
Les bonus de cette édition se centrent autour de Naohisa Inoue, responsable des décors des parties du film consacrées au Baron : le Blu-Ray propose deux bonus sur le sujet, quand le DVD n’en a qu’un.