Mia Hansen-Løve a rencontré Humbert Balsan début 2004, soit un peu plus d’un an avant sa mort ; il lui avait alors proposé de produire son premier long-métrage. Si le producteur n’a pas eu le temps d’accompagner le film jusqu’à son terme, Mia Hansen-Løve n’en a pas moins évoqué à plusieurs reprises l’importance, dans son parcours, du regard enthousiaste d’Humbert Balsan sur son projet, projet dont résultera Tout est pardonné, finalement sorti en 2006. Trois ans plus tard, avec Le Père de mes enfants, la réalisatrice rend hommage sans jamais le citer à l’homme qui le premier crut en son talent, et livre un film de fiction vif et clair, transcendant la question du deuil pour s’attacher à celle, plus pérenne, de la trace.
Le Père de mes enfants commence sur les images d’un mouvement effréné : mouvement de la ville de Paris, dont la réalisatrice s’attache à filmer les centres fluides et les circulations – posant sa caméra au milieu des avenues, sur les ponts et les berges surplombant la Seine et, comme déjà dans son premier film, dans le métro aérien ; mouvement incessant des enfants, de la vie de famille, des péripéties de la production cinématographique ; puis surtout mouvement du personnage principal Grégoire Canvel, producteur indépendant hyperactif dont l’amour pour le cinéma n’a d’égal que celui qu’il porte à sa femme et à ses enfants. Particulièrement enlevée, tant du point de vue du montage que de celui de la mise en scène, la première partie du Père de mes enfants nous emmène dans le tourbillon effréné de ce personnage charismatique, le long des productions cahoteuses de trois films exigeants, de Paris à la campagne où il retrouve sa turbulente famille, et jusqu’à l’Italie.
Puis, au diapason des différents protagonistes, la caméra s’alourdit. Moins vive, plus douloureuse sans jamais perdre en limpidité, la deuxième partie du film dessine le chemin solitaire de celles qui restent après la mort du producteur, de la pénombre d’un appartement en deuil aux promenades silencieuses d’un bel après-midi d’été. Dans Le Père de mes enfants, il fait toujours beau ; certains y verront le signe d’une bienveillance forcenée, voire déplacée ou factice. Mais si le récit semble se construire autour du motif plastique et thématique de la clarté, pas un instant la réalisatrice ne prend cette clarté pour acquise. Ce qui s’affirme ici serait plutôt de l’ordre d’une résistance droite et sereine, qu’incarne à merveille Chiara Caselli dans le rôle de la femme de Grégoire Canvel.
Du propre aveu de la réalisatrice, Tout est pardonné et Le Père de mes enfants procèdent d’un seul et même mouvement. Les deux films, qui au premier abord semblent traiter de sujets assez différents, sont comparables à plus d’un titre : même structure en deux parties, même travail autour d’une luminosité assumée tant sur le fond que sur la forme, même réflexion sur la filiation et sur la transmission. C’est avec un souci d’épure, qui constituait déjà l’une des qualités majeures de Tout est pardonné, que la mise en scène du Père de mes enfants suit les différents personnages, le long d’un scénario aux structures audacieuses, remarquablement équilibré. Laissant à nouveau une grande place aux enfants au sein du film, la réalisatrice offre de même coup une respiration supplémentaire à l’œuvre, laissant deviner une marge d’improvisation particulièrement bien exploitée, distendant ça et là les rouages d’un récit qui gagne ainsi en force, en amplitude et en authenticité.
À mi-parcours et par la force des choses, du personnage de Grégoire Canvel, qui jusque là retenait l’essentiel de l’attention, on se laisse porter vers d’autres protagonistes : sa femme Sylvia, ses trois filles, et même Arthur, un jeune réalisateur qui avait rencontré le producteur peu avant sa disparition. Le film explore divers cheminements, du nécessaire travail de deuil à l’assimilation de l’héritage du disparu, toujours dans le sens d’une essentielle bonté. Mia Hansen-Løve n’élude jamais le tragique ; car, affleurant à chaque recoin d’une narration résolument en mouvement, les forces d’inerties et de désespoir n’en sont ici que plus bouleversantes, envers omniprésent d’une force de vie qui peut toujours, à tout instant, se renverser vers le néant. Usant de l’ellipse sans fausse pudeur, la réalisatrice laisse simplement ses personnages à leurs trajectoires inachevées et à leurs secrets, donnant à voir une réalité sombre que vient transcender, avec une grande dignité, le goût salvateur de la beauté.