Un beau matin ne convaincra probablement pas ceux qui goûtent peu le cinéma de Mia Hansen-Løve. Un an après Bergman Island, la cinéaste revient avec un récit mêlant deux trames : Sandra (Léa Seydoux) est confrontée au déclin mental et physique de son père (Pascal Gregory), frappé par le syndrome de Benson, tandis qu’elle noue une relation adultérine avec Clément (Melvil Poupaud), qui n’arrive pas à quitter sa femme. Le film commence et s’achève sans événement majeur ; détaché d’une logique dramaturgique forte, il pourrait débuter avant ou se terminer après. C’est à mettre à son crédit : l’ambition portraitiste fait mouche ici et là grâce à la précision d’un détail, à la légèreté d’une scène intime, à l’étreinte de deux corps et de deux acteurs accordés. En somme, grâce à la modestie d’un trait sensible saisissant les petits riens de l’existence sans passer par l’armature rigide d’une narration sursignifiante. Mais le film souffre aussi des tares habituelles de la réalisatrice, notamment son incorrigible ancrage bourgeois, qui n’est pas seulement une affaire de milieu (le personnage de la mère campée par Nicole Garcia qui, tout en sirotant une coupe de champagne, raconte sa participation à de grisantes actions de désobéissance civile) ou de culture (le name dropping littéraire et musical), mais aussi de manière d’être au monde.
C’est le gros nœud du film : la pudeur des scènes consacrées au père de Sandra, dont le personnage est manifestement inspiré par celui de la cinéaste (comme lui, il est professeur de philosophie), s’accompagne d’une certaine préciosité qui vient glacer l’émotion. Prenons un exemple. Au cours de l’une de ses visites dans l’EHPAD accueillant son père, un discret panoramique épouse le mouvement de Sandra, qui se tourne vers la fenêtre pour ne pas voir une soignante aider le malade. Le recadrage traduit bien la retenue qui guide la mise en scène, tout en pointant une autre tendance : le refus radical de laisser la saleté s’infiltrer dans le cadre feutré de ce film élégant et propret, et surtout un peu trop aimable pour être honnête. Hansen-Løve semble parfois adopter une certaine distance critique sur les réflexes de ses personnages (cf. la façon dont Sandra juge avec mépris les goûts cinématographiques de sa fille), mais ces scènes pèsent peu face à son goût immodéré pour les jolies vues et les jolies choses. Le film n’en fait pas mystère : aux yeux de Sandra, l’âme de son père réside davantage dans les livres de sa bibliothèque harmonieusement garnie que dans son corps dépérissant.