Triptyque : ni Vienne, la capitale dont est originaire sa compagne, ni sa petite fille qu’il aime passionnément ne parviennent, à sauver de la drogue et de l’impuissance littéraire, Victor, un jeune Français à la dérive. De retour à Paris où Victor continue ses habitudes, l’overdose d’une amie et sa prise en charge médicale l’éloignent définitivement de celle qui l’aime et de leur petite Pamela. Toujours Paris, aujourd’hui, jeune bourgeoise fade et béate, l’adolescente accepte de revoir son père, dont sa mère l’a tenu éloignée.
Lorsqu’un réalisateur ou une réalisatrice fait le choix du réalisme et de la clarté du style, il prend indéniablement des risques. On le juge moins à l’aune d’un dispositif abstrait de mise en scène qu’à partir de sa capacité à filmer la réalité qu’il souhaite évoquer et à partir des sentiments qu’il voudrait susciter.
Le tournage des séquences narratives à Vienne (la première partie du film) parvient effectivement à figurer une vie de couple à la dérive, un environnement affectif (le coup de fil de la tante paternelle à la petite fille et la réunion de famille maternelle pour son anniversaire) comme de véritables paysages urbains (la mise en scène au service du décors de l’immeuble et du jeu de ballon de la première séquence ou le café miteux). La cinéaste commence par prendre le temps pour mettre en image le quotidien bancal de son fragile trio. Pourtant, le piège que représente le souci du détail et une jeune actrice inexpressive et « transparente » achèvent ce film dans des séquences parisiennes pathétiques et insipides. Comme la magie de la poésie peut venir du réalisme, les âmes de poètes sont difficiles à incarner au cinéma. Si cet axiome voudrait prendre la mesure de la difficulté de la mise en scène du réalisme, il peut également désigner, en creux, la difficulté du cinéma à figurer les autres arts et les artistes, quoiqu’il soit toujours affaire de réalisme ici… Mais pour Mia Hansen-Løve, autant dire qu’un personnage est un poète, s’il est maudit et fréquente les paradis artificiels, plutôt que de se risquer à écrire quelques vers qui achèveront le film. Les mots d’un poète germanophone rempliront le vide d’un tempérament d’artiste auquel on n’a pas cru.
Peut être est-ce la distance avec Vienne qui a permis à la réalisatrice de redonner l’image d‘une capitale que l’on ne voit plus guère au cinéma. Revenue à Paris, c’est comme si tous les objets, les décors, les personnages et le visage inexpressif et bêtifiant de la jeune actrice principale concourraient à faire du film une caricature audiovisuelle. Le piège « réaliste » commence avec la fête underground dans un immeuble miteux-mais-quand-même-un-bel-appart-de jeune-avec-de-la-musique-branchée-de-l’Est. N’oublions pas que la musique germanique fait aisément underground et qu’elle rappelle aux spectateurs le séjour précédent à Vienne (de Victor en l’occurrence, mais pas des autres personnages de figurants du récit, mais bon…).
Cette séquence préfigure toutes celles qui composent la troisième partie du film qui devient plus que pénible. Sans plus prendre le temps de construire les personnages qui ne sont pas présents au début de l’histoire (mention très spéciale à la petite Pamela et à la tante paternelle, déjà vue dans L’Esquive : la meilleure actrice du film, même lorsque la mise en scène a disparu !), la réalisatrice nous présente des prototypes. Pas même des types qui pourraient dessiner la narration du récit. Non, des prototypes. Tout commence avec un beau-père-sympa-qui-lit-Le-Monde-car-il-est-arrivé-dans-la-vie – trace de stabilité – et-installé-dans-ses-meubles (déco asiatique). Il nous est caractéristiquement présenté à travers un unique panoramique dont le champ est saturé par les informations sociologiques que la cinéaste veut nous imposer. Ensuite commence le portrait de l’héroïne de l’affiche : une adolescente que le scénario laisse inculte. Elle aime toutefois les enfants (en signe de maturité automatique ?) et les arts, comme voudrait nous en convaincre le dialogue plutôt que le scénario. Le dialogue, toujours, à défaut de mise en scène et de rôle écrit, nous précise qu’elle « ne sait pas quoi faire » si ce n’est cracher sur HEC. Cela devrait ainsi convaincre le spectateur d’une démarche culturelle évidente.
Les cartons émaillant le récit d’un film ne sont jamais des jalons anodins. On peut penser au style éphéméride des cartons journaliers d’Éric Rohmer. De ceux de Tout est pardonné, seul celui de « Vienne, 1995 » répond à sa promesse. Ni « Paris », ni « Pamela » ne peuvent parvenir à ce à quoi le film réaliste aspire comme beaucoup de films de fiction : une spécificité incarnée par un récit d’image. Toute la troisième partie du film, qui nous est contemporaine, élabore une galerie de contexte socioculturel plutôt que des personnages et des rôles, en pariant sur l’idée que la précision des décors dans un plan vaut mieux qu’une mise en scène. Et pourquoi une telle rapidité, nuisible au scénario et à la crédibilité du film, quand on prétend suivre les déambulations adolescentes de Pamela ? Les décors, les objets et les costumes sont plus réalistes que les malheureux personnages sensés les habiter et servir le message attendu : « Tout est pardonné. »
Le portrait de Pamela ne réussit jamais à devenir celui d’une adolescente qui rencontre son père. En fait, l’adolescence est, pour la cinéaste, un âge apparemment facile et calme, presque bénie, associée à une photogénie sensuelle et déroutante de corps faciles. Nos paires d’adolescentes, l’héroïne et sa copine, sont des sortes de petites fashonistas qui n’auraient rien de romanesque pour supplanter le vide de leurs pensées, s’il n’y avait heureusement ce fortuit accident de parcours familial dans le passé de l’une… À ce stade, pour penser, ou plutôt pour filmer des personnages qui pensent, Mia Hansen-Løve filme en champs contrechamps les visages trop jeunes du père (vieux beau magnifiquement conservé par le charme de l’existence ou la grâce de son passé ?) et celui béat et statique de la jeune fille. Le père complimente d’ailleurs sa fille au moment de son premier tête à tête avec elle, après une si longue absence, en ces termes : « je t’imaginais comme ça, transparente (…)» (de mémoire) en guise de compliment !
Tout est pardonné n’a rien du simulacre de transparence qui fait la grâce des chefs d’œuvre du cinéma français réaliste, du côté de Renoir, Pialat, Rohmer ou Breillat et Varda, quand elles consentent à ce pacte générique. Le film se transforme en vulgaires agressions visuelles de type clipesque. Espérons que ce film raté, symptomatiquement incapable d’incarner la culture et l’intelligence, ne fasse pas des suites et que la critique reprenne le stylo.