Comment renaître après une épreuve ? La problématique de Maya, dernier né de Mia Hansen-Løve, est posée dès les premières minutes du film lorsque Gabriel (Roman Kolinka), grand reporter, retourne en France après une prise d’otages et quatre mois de captivité en Syrie. À l’instar de L’Avenir, qui contait le nouveau départ d’une quinquagénaire en plein divorce, Maya brosse le portrait d’une quête intérieure où le seul remède est le voyage. Gabriel choisit la ville de Goa, en Inde, berceau de son enfance et par ailleurs de ses traumatismes. Sur le papier, les intentions de la cinéaste sont prometteuses mais elles cochent rapidement les cases du petit traité de développement personnel où l’on expose, de A à Z, la bonne méthode pour guérir de tous les maux.
Psychothérapie détournée
La rencontre inattendue de Gabriel et Maya dans les rues de Goa constitue le point de départ d’une psychothérapie détournée où Maya fait figure de thérapeute et Gabriel de patient. L’ennui tient à ce que la cinéaste ne parvient pas à restituer l’intensité du hasard des rencontres. Peu avant son départ, Gabriel déclare à son médecin qu’il ne souhaite pas être suivi, ce à quoi on lui répond qu’il ne peut échapper au dialogue, qui adviendra au moment où il l’attend le moins. Cette séquence charnière annonçant ce qui suit, les rouages de l’intrigue sont dès lors prévisibles. À fortiori, le dispositif mis en place pour la thérapie témoigne d’une certaine inertie, avec un nombre confondant de jeux de questions-réponses dont la plupart débutent par une même formule : « Alors, comment te sens-tu ?», laissant poindre la pauvreté de l’écriture en même temps qu’une certaine naïveté dans l’appréhension du processus psychothérapeutique.
De thérapeute néophyte, Maya est promue prédicatrice et ses réflexions pseudo-métaphysiques atteignent leur apogée lors d’une excursion maritime où elle dit à un Gabriel ébloui : « Quand je vois la beauté du monde, je me dis que seul un Dieu aurait pu le créer. Mais quand j’observe tous les massacres, je ne vois pas comment il pourrait accepter cela », la scène se concluant par un plan serré sur des dauphins auquel se substitue son visage émerveillé. À plus forte raison, lorsqu’ils deviennent amants, ces instants mièvres sont assortis du cachet « guide du routard » et des poncifs que cela entraine : visite de temples, découverte de la gastronomie indienne sur fond de musique mélodieuse, à grands renforts d’inserts sur la carte du pays pour illustrer leur itinéraire (procédé qui apparaissait déjà dans Un amour de jeunesse lors du voyage de Sullivan en Amérique Latine).
Lorsque la cinéaste évoque les motivations à l’origine du long-métrage, elle aborde son désir de réaliser un film autour d’une profession : ici, celle de grand reporter. La singularité de son approche serait d’éviter l’étude bornée du trouble de stress post-traumatique : « Ce qui m’inspire davantage, c’est la puissance d’une vocation […] Le film est tendu vers la possibilité d’un nouveau départ. » La carrière de Gabriel n’est pourtant pas l’une des composantes de l’intrigue ; pire, elle semble être prétexte à une déchirure qui puise ses racines dans l’enfance. Lorsqu’il pose ses valises à Goa, il se réinstalle dans la maison où il vivait avec sa mère qui l’a abandonné à l’âge de sept ans. La prise d’otage n’étant jamais abordée au cours du voyage, les deux expériences traumatisantes cohabitent difficilement au sein du même canevas.
Signes et symboles
Le dépassement du trauma de Gabriel s’effectue de manière rituélique, par un ensemble de signes se succédant et procédant d’une logique de purification des maux : à son arrivée en Inde, sa première action est de se baigner dans le Gange, fleuve sacré permettant l’expiation des péchés. Aussi, par sa dimension psychothérapeutique et parce qu’elle intervient dans le cadre éphémère du voyage, la liaison de Maya et Gabriel est perçue comme salvatrice. Mais le feu demeure le symbole le plus symbolique et arrangeant, employé vers la fin lors de l’incendie de la maison d’enfance – l’on ne sait jamais comment ni pourquoi l’incendie s’est déclaré, si ce n’est pour forcer narrativement la renaissance du personnage principal, qui ne peut se délester du poids de l’absence d’une mère que par la destruction du lieu lui étant consacré. Car plutôt que de creuser les liens entre les personnages — entre Gabriel et sa mère, qu’il ne retrouve qu’une seule fois dans une séquence rapidement expédiée (alors que son absence innerve le film de façon presque proustienne) et enfin entre Maya et Gabriel, par l’établissement de rapports autres que métaphoriques, Mia Hansen-Løve privilégie un faux-semblant de profondeur et de psychologie de comptoir prétendant expliquer le fonctionnement de l’esprit.