Le troisième film de Mia Hansen-Løve vient clore ce que l’on pourrait appeler une trilogie sur le deuil, et forme un ensemble cohérent avec Tout est pardonné et Le Père de mes enfants. Dans le même temps, il éclaire le pourquoi des promesses suscitées par ces deux précédentes œuvres, et vient infléchir l’enthousiasme mesuré qui avait pu accompagner leurs sorties respectives. Un amour de jeunesse est malheureusement l’exemple type d’un cinéma d’auteur français à la fois creux et lourd, et dont l’aspect autobiographique le plonge dans un repli sur lui-même assez désagréable.
Il est toujours malaisé de vouloir raconter des histoires de cœur. On y puise le désir de produire quelque chose qui touche à l’universel, où le spectateur puisse s’identifier à des dilemmes précis, tout en cherchant à traiter de l’intime sous la forme d’un récit singulier, s’incarnant dans des personnages à la fois proches et suffisamment loin de nous. C’est ce que réussissait en partie le récent Blue Valentine, par la force de sa structure narrative dans la première heure du film, pour être suppléée par le travail des dialogues et la finesse des comédiens dans sa deuxième partie. Ce sont exactement les points qui font défaut à cet amour de jeunesse.
Les deux premiers films de Mia Hansen-Løve traitaient de sujets difficiles (l’absence du père ou sa perte) avec une légèreté, une luminosité qui venaient contrecarrer tout effet de pathos malvenu. Le geste cinématographique se voulait à la fois très travaillé et instinctif, dans la vigueur d’un montage tout en ellipses, pour transcender un matériau mortifère et lui redonner le dynamisme d’une vie en mouvement perpétuel. La figure de l’adolescente, assaillie de doutes quant à sa construction personnelle, ne se figeait jamais dans un immobilisme pantois. On pourrait dire sommairement que c’était toujours la vie qui prenait le dessus sur le reste, et c’est cette énergie qui rendait justice à la grâce de cet âge difficile. Un amour de jeunesse vient confirmer à quel point cet équilibre instable est un point de justesse compliqué à atteindre, et qu’il ne pouvait l’être que ponctuellement.
On y retrouve pourtant les mêmes ingrédients. Récit elliptique divisé en plusieurs parties, un deuil à faire (celui, plus symbolique, d’une relation amoureuse), à ceci près que le désir d’entrer dans les émois adolescents se fait plus pressant et n’est, contrairement aux deux précédents films, que très facticement contrebalancé par le monde des parents (Valérie Bonneton, dans le rôle de la mère, est tristement sous-exploitée). Ce qui permettait jusque-là au récit de pivoter autour de l’univers adulte, et de trouver un point d’ancrage pragmatique aux troubles de l’adolescence disparaît tout simplement dans des scènes convenues (« Il faut tourner la page maintenant », dit le père de Camille), où il est injustement expliqué que de toute façon les parents ne peuvent rien comprendre à tout cela. Cette potentielle relation inter-générationnelle se dissout dans la masse du récit amoureux, par le biais d’un personnage d’architecte quarantenaire auprès duquel la jeune héroïne se rattache comme à un phare perdu dans la nuit.
Tout ce beau monde étant réduit à l’état satellitaire, le film souffre d’un véritable problème d’incarnation et de croyance. La relation entre Camille et Sullivan est décrite comme un pur amour éthéré, une abstraction qui ne se confronte jamais aux réalités de la vie mais plutôt à un idéal romantique suranné, au temps qui passe, à l’absence. Les dialogues sont un terrible exemple de ce souci : un enchainement de phrases définitives qui sonnent creux, qui cherchent à tout dire, tout expliciter, tout ramener à la surface. Ce qui génère un véritable embarras pour les comédiens, qui se débâtent tant bien que mal pour tenter d’accéder à un naturalisme réaliste qui se dérobe sans cesse sous leurs pieds. C’est sur ce point précis que la logique d’universalité/intimité d’une histoire d’amour se heurte à un écueil trop commun car, à trop vouloir saisir l’essence même d’une relation, Mia Hansen-Løve se perd dans des généralités agaçantes. Le souci réaliste se heurte à un romantisme fleur bleue du plus mauvais effet, ce qui produit un décalage empêchant toute adhésion au récit et aux personnages. Lorsque Camille dit à Sullivan : « J’ai tellement de chance de t’avoir trouvé, c’est un miracle », on ne doute pas que dans la fougue de l’instant elle puisse le penser, mais qu’elle puisse l’annoncer de manière aussi plate empêche tout simplement d’y croire. Et ce sont finalement les sentiments plus que les personnages qui en pâtissent, et peinent à s’incarner dans cette minutie artificielle.
Il y avait pourtant une belle obstination à vouloir travailler sur le thème de la jeune fille qui voudrait croire en un amour qui dure toujours. Mais le film ploie sous le poids de cette hypothèse, et arbore un voile de chasteté qui ne sied guère aux élans de l’adolescence. De sexe, il en est pourtant question régulièrement tout au long du film, mais l’acte en lui-même est évacué hors-champ comme si l’énergie qui s’en dégage serait néfaste à la description d’un amour sincère. Il ne reste alors plus que les missives de Sullivan pour fixer la matière de sentiments pris au piège d’une littéralité figée et empesée, à rebours d’un récit qui se voudrait sautillant d’une époque à une autre. En cherchant à accéder à la puissance d’une intimité autobiographique, Mia Hansen-Løve a oublié de s’adresser à quelqu’un d’autre qu’à elle-même. Espérons qu’elle réussisse à revenir à ses premières amours, où grâce et légèreté étaient les maîtres-mots d’un cinéma plus spontané.